Par Danyrou
Lauréat du prix du public du festival d’Angoulême 2014, Mauvais genre est une BD inspirée d’un fait divers rapporté par l’essai historique La garçonne et l’assassin, de Fabrice Virgile et Danielle Voldman. L’histoire se déroule un peu avant la Première Guerre mondiale. Paul Grappe, ouvrier parisien rencontre Louise avec qui il convole en justes noces. Les nouveaux mariés filent le parfait bonheur jusqu’à ce que la guerre éclate en juillet 1914. Paul qui exécutait alors son service militaire se retrouve rapidement mêlé au conflit, enterré dans une tranchée faisant face aux « Boches ». La violence des combats qui déchirent le sol de France l’amènera à vivre une expérience traumatisante qui le poussera à s’automutiler afin d’être évacué à l’arrière. Après une longue convalescence, lorsque l’on annonce à Paul qu’il retournera au front, celui-ci n’hésite pas et choisit la désertion plutôt que le retour en enfer. Confiné dans la chambre qu’il occupe avec son épouse Louise, Paul en a vite marre de tourner en rond dans un si petit espace. La situation devient intenable. Le déserteur a soudainement l’idée de se travestir avec les vêtements de sa femme afin de passer incognito dans les rues de Paris, infestée de chasseurs de déserteurs et retrouver de cette façon un peu de liberté. Il deviendra dès lors « Suzanne ». Profitant de sa nouvelle identité, il pourra sortir à nouveau, se recréer une vie sociale et même occuper un travail de couturière. Toutefois, l’histoire tourne vite au vinaigre et dérape lorsque Paul se prend au jeu et que Suzanne prend de plus en plus de place et devient la reine du Bois de Boulogne!
Cet excellent roman graphique nous fait plonger dans le Paris des années folles où une certaine liberté sexuelle put s’exprimer après quatre années de boucherie. Même si le personnage de Paul-Suzanne devient vite antipathique et provoque en nous plusieurs malaises en raison d’une violence envers Louise qu’il manifeste de plus en plus sans vergogne, nous sommes avalés par ce récit qui nous fait glisser avec le héros vers ce que ce qui s’annonce une fin tragique inéluctable. Grâce à une trame narrative claire et dramatique, cette BD laisse des traces. Personnellement, après avoir refermé mon livre, j’ai été habité par cette histoire quelques jours. Le dessin est fluide et sombre, ce qui fait ressortir l’état d’esprit de Paul qui s’engouffre dans les excès de la vie libertine parisienne et l’alcool. L’unique couleur mise en évidence est l’écarlate et est réservée au sang ou la robe de Suzanne. Chloé Cruchaudet nous raconte une histoire singulière et nous fait découvrir un monde en marge qui existait bien avant internet. Encore une preuve que l’on n’a rien inventé. Une œuvre magistrale!
9/10
Mauvais Genre
Auteur : Chloé Cruchaudet
Éditeur : Delcourt/Mirages 2013