Par Danyrou
La Propriété, récipiendaire du grand prix du jury à Angoulême en 2014, est écrit et illustré, par le chef de file de la nouvelle bande dessinée israélienne Rutu Modan. Cette dernière s’était fait remarquer déjà en 2008 avec son Exit Wounds . Ce récit tragique qui critiquait la société israélienne en perte de repère, avait été alors chaudement acclamé par la critique et avait remporté le prix France info pour la bande dessinée d’actualité et de reportage. Avec La Propriété, Modan change de registre et nous raconte sur une note un peu plus légère en apparence, l’histoire de Régina Ségale. Une vieille dame allumée et espiègle qui se rend à Varsovie deux mois après la mort de son fils, en compagnie sa petite fille Mica pour récupérer l’appartement familial spolié durant la Deuxième Guerre mondiale. Régina ayant quitté Varsovie enceinte avec son mari juste avant l’invasion nazie, reste la seule survivante de sa famille décimée dans les camps. Ce voyage s’annonce évidemment éprouvant pour la vieille dame qui reviendra sur le passé douloureux qui imprègne chaque rue de la ville martyre polonaise. Cependant, l’on découvre assez rapidement que les motivations qui ont amené Régina en Pologne semblent plus complexes que la simple récupération d’un bien. En effet, dès leur arrivée à l’hôtel et après un coup d’œil rapide au bottin de téléphone de Varsovie, Régina annonce à sa petite fille qu’elle ne veut plus de l’appartement et veut rentrer à Tel Avive. Cette attitude étrange de sa grand-mère piquera bien entendu la curiosité de Mica. À l’aide d’un jeune polonais, guide touristique dans l’ancien ghetto de Varsovie, Mica tentera de lever le voile sur le secret de famille qui semble lié à cette histoire de propriété volée. La démarche de Mica sera toutefois compliquée par la présence lourde et agaçante d’Avram, un ami de la famille, qui justifie sa présence à Varsovie par sa participation à un congrès de maitre chantre juif, mais qui en vérité est là pour espionner les deux femmes et tente de se mettre le nez dans leurs affaires immobilières pour des raisons encore floues.
Malgré un sujet grave, le secret de famille, les survivants de la Shoa, le ghetto et la dépossession des juifs polonais, l’auteur traite ces pages sombres du XXe siècle par le biais de la légèreté et de la comédie de situation. Le personnage de Régina est attachant et correspond à l’image que l’on se fait de la Bonne mère juive, couveuse et un tantinet accaparante. Le réalisme est à l’honneur dans cette histoire qui nous est racontée sur un rythme lent et tendre. Modan est une excellente conteuse. On s’attache à ces personnages authentiques aux émotions sincères. On aime les voir évoluer dans cette histoire en apparence simple et sans prétention, mais qui nous fait frôler les horreurs de la Shoa et ses conséquences sur ses descendants. L’auteur ne flirt jamais avec la victimisation. Elle en profite même pour critiquer une certaine attitude qui frise le sensationnalisme et l’indécence chez certains touristes juifs qui se rendent dans les camps de la mort de Pologne en excursions mémorielles. Elle fait entre autres dire à un passager de l’avion que les deux héroïnes prennent pour se rendre à Varsovie, « Moi, je préfère Majdanek, c’est plus effrayant qu’Auschwitz. » Je soulèverai peut-être un bémol sur le personnage d’Avram qui est pour sa part peut-être un peu trop « beauf « et caricatural. Il tombe royalement sur les nerfs et l’on peut avoir de la difficulté à y croire. La ligne claire un peu molle est toutefois efficace et complètement appropriée à ce type d’histoire ou l’émotion prime.
7.5/10
La Propriété
Auteur : Rutu Modan
Éditeur : ACTE SUD BD, 2013
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