Le Théorème de Karinthy

Publié par

UnknownPar Danyrou

Nous sommes à Berlin-Ouest au début des années 80, au cœur des « années de plomb ». Depuis une dizaine d’années, les manifestations étudiantes, les groupuscules d’extrême gauche et les organisations terroristes comme la bande à Baader, adepte du hold-up, du kidnapping et de l’attentat, menacent la paix sociale déjà fragile dans cette enclave capitaliste au sein de la République démocratique d’Allemagne, navire amiral de la zone d’influence soviétique. Voilà l’univers fascinant où nous entraînent les deux créateurs de Le Théorème de Karinthy, le scénariste Jörg Ulbert, enseignant chercheur à l’Université Bretagne-Sud, et l’illustrateur franco-allemand Jörg Mailliet,

Au premier abord, le titre est fort intrigant. En lisant le quatrième de couverture, on apprend alors que ce théorème singulier fut imaginé par l’écrivain, journaliste et poète hongrois Frigyes Karinthy et suppose que tout être humain sur terre est séparé par une chaîne de connaissance de six personnes. Avec étonnement on apprend « que la police fédérale allemande se sert de ce théorème pour retrouver la trace de terroristes vivant depuis des années dans la clandestinité ». Tout au long des huit chapitres de cette BD nous suivrons Otto, un policier infiltré dans le Berlin estudiantin afin de retrouver Martin Heerlett, un militant d’extrême gauche à la solde de Moscou, qui revient à l’Ouest pour préparer un dernier coup avec sa bande. C’est donc en s’inscrivant à l’université, en fréquentant les bars underground, en participant aux manifs et en assistant aux concerts de groupes punk et de new wave allemands qu’Otto tente de localiser sa cible. Petit à petit, le jeune policier s’intègre à cette faune qui pullule dans la métropole allemande et se lie d’amitié avec un membre d’un groupe d’activistes à la recherche d’explosifs pour détruire un entrepôt. La quête de ces jeunes idéalistes rêvant d’une alternative au capitalisme les amènera à se rapprocher finalement de la bande d’Heerleut qui, de son côté, prépare l’enlèvement du ministre de l’Intérieur ouest-berlinois. Que fera Otto en voyant sa proie se rapprocher?

Ce que l’on lit à travers cette BD c’est la fin d’une époque. On entend en bruit de fond le glas d’une idéologie qui exige des revendications de plus en plus vagues. Ce sont les dernières lignes d’un chapitre de l’histoire allemande et du XXe siècle qui se refermera avec la chute du mur de Berlin en 1989. Cet ouvrage nous permet d’en apprendre plus sur une époque que l’on ne traite plus en littérature, au cinéma ou en BD. On y découvre avec plaisir une ville qui fut le terreau d’une musique et d’une contre-culture fascinantes, sans doute en raison de son rôle de point de rencontre des deux principaux acteurs de la guerre froide.

Malgré la richesse historique de son récit, on peut cependant reprocher au Théorème de Karinthy de trahir les attentes suscitées par le résumé: le fameux théorème ne s’avère pas le principal fer de lance de la police, il n’est pas utilisé de façon concerté par les stratèges des forces de l’ordre. Certes, on a affaire à un policier qui se glisse dans la peau d’un autre et fait des rencontres qui le guideront vers sa cible. Cependant dans la perspective où l’on avait souhaité lire quelque chose de vraiment spécial, on se retrouve finalement avec un polar classique.

Pour ce qui est de la mise en forme graphique, les lecteurs connaissant Berlin seront heureux de reconnaître la tour de l’Alexanderplatz, le U-Bahn, la Spree et les Imbiss qui vendent des currywursts. Toutefois, les traits des personnages sont moins bien définis, de sorte que l’on peine souvent à les distinguer les uns des autres. Une bonne note: les auteurs ont ajouté à la fin de l’album une liste de titres à écouter sur YouTube pendant la lecture. Cette trame musicale — presque un personnage en soi — contribue à recréer l’ambiance de l’époque.

Au final, le sujet était intéressant, mais on referme cette BD en ayant l’impression d’avoir mangé un bon plat, mais qui n’était pas vraiment celui qu’on avait commandé.

7/10

Titre : Le Théorème de Karinthy

Auteur : scénario Jörg Ulbert, dessin Jörg Mailliet

Éditeur : Des ronds dans l’O (2014)

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