Par: Dany Rousseau
C’était en 1987. Nous étions en secondaire IV, étions accro à U2 et à The Cure, avions tous une une affiche de Samatha Fox au-dessus de notre lit douillet et carburions aux sketches de RBO à la télé. Chaque mois, lorsque notre porte-monnaie dégarni nous le permettait, nous nous précipitions au dépanneur pour nous procurer la dernière édition de Croc. C’est dans les pages de ce magazine que j’ai découvert la série des Aventures de Gilles La Jungle, qui nous faisait crouler de rire avec son humour absurde. Imaginez donc ma surprise et le flashback que j’ai vécu il y a quelques semaines quand j’ai appris que La Pastèque avait redonné vie à Gilles La Jungle 30 ans après ses premières apparitions dans Titanic et Croc.
D’abord un mot sur l’auteur de la série, Claude Cloutier travaille depuis 1986 à l’Office national du film où il a réalisé de nombreux films d’animation, dont Isabelle au bois dormant en 2007, une œuvre maintes fois primée à l’étranger. Il a également illustré maintes publications. Son passage dans le monde de la bédé a été bref, mais marquant. Sa célèbre série La Légende des Jean-Guy, publiée en feuilleton dans Croc, a été réédité en 1995 chez Kami-Case, une maison passée depuis dans le giron de Boréal. Et voilà que Gilles La Jungle nous revient enfin grâce aux bons soins de La Pastèque!
Le héros de Claude Cloutier est sans conteste un pastiche de Tarzan et de tous ses clones. Ici, l’auteur s’inspire directement de Kimba, un roi de la jungle italien qui fut au centre d’un roman photo dans les années 60. La lecture de quelques pages nous révèle tout le potentiel parodique de ce navet immonde. Pour ma part, je peux certes associer directement l’humour de Gilles La Jungle à celui des Lundis des Ha! Ha!, de Paul et Paul ou de Ding et Dong. Bref, les aventures rocambolesques du roi de la jungle québécois s’inscrivent dans la veine de l’humour absurde post-référendaire (valait mieux en rire).
L’album réunit deux récits, Gilles la Jungle contre Méchant Man et Gilles La Jungle contre les Vampires. Dans la première histoire, les frères Couture errent dans la jungle à la recherche d’aventures. Leur quête est vite récompensée lorsqu’ils découvrent un cadavre qui n’est pas mort. Il a «reçu un trou dans l’épaule». C’est alors qu’un frère s’exclame: « Il me semble avoir déjà vu cette aisselle quelque part. J’y suis! C’est Méchant-Man! Même sans son masque je reconnaîtrais ses aisselles de criminel international! » Bienvenue dans l’univers de Gilles La Jungle, où règnent le non-sens, les jeux de mots et les adjectifs décalés!
Une fois qu’il aura enfilé son costume serré mi-polyester, mi-coton, «l’uniforme des criminels internationaux», Méchant-Man s’attaquera à un chargement d’or protégé par le Sergent Gosselin et Gilles, au péril de leur vie. Témoin, cet l’épisode où notre héros, enduit de fromage Kraft, se retrouve ligoté à un splendide ouvrage de macramé en forme de toile d’araignée! Gilles sera toutefois libéré in extremis par le fils du sergent Gosselin, alors qu’il était sur le point d’être dévoré par… cinq fourmis !
Le deuxième récit s’intitule Gilles La Jungle contre les Vampires. Dans cette aventure, Gilles affronte une bande de sourds et muets apprivoisés, habillés en ninja, disciple d’un autre criminel international dénommé Vampire, qui a enlevé l’amoureuse de Gilles, la bien nommée Jane. Je me souvenais encore par cœur de la scène où Gilles est réveillé par le lion Lionel, le pire ennemi de notre héros. « Puis le héros fixe le lion de son regard d’acier avec une intensité telle… que l’animal disparaît sans demander son reste. » Le lion dira après cette confrontation: « Je prendrai mon reste une autre fois… Il est vraiment trop con. »
Les histoires de Gilles La Jungle procurent encore le même plaisir trente ans plus tard. Cet humour n’a pas pris une ride. Chaque case crayonnée en noir et blanc avec des teintes d’orangé, se voulant une imitation des « strips » américains des journaux des années 40 et 50, provoque de francs éclats de rire. Je déclare solennellement que Gilles La Jungle est un très bon achat. De plus, la Pastèque c’est montrée soucieuse d’offrir avec cette réédition un très bel objet grand format et cartonné.
9/10
Gilles La Jungle
Scénario et dessin Claude Cloutier
Édition la Pastèque (2014)