L’Arabe du futur: Une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984)

Publié par

Par Danyrou

imagesAprès des succès comme Pascal Brutal (récipiendaire du Fauve d’Or à Angoulême en 2010), La vie secrète des jeunes et Retour au collège, Riad Sattouf, adepte de la ligne claire nous plonge dans un fascinant voyage au cœur du Moyen-Orient des dictatures arabo-socialistes des années 1970-1980. Dans ce premier de trois volets — les deux autres suivront en 2015 et en 2016 — Sattouf nous raconte sa petite enfance alors que sa famille quitte la France pour s’installer en Lybie et en Syrie. Le récit autobiographique devient alors, comme on l’a vu avec Persepolis de Marjane Satrapi ou encore dans le cas de Marzi de Marzena Sowa, un prétexte pour dépeindre de façon ludique et efficace le contexte sociohistorique d’une époque et d’un lieu.

Sattouf amorce son récit avec la rencontre de ses parents, tous deux étudiants à la Sorbonne. Sa mère Clémentine est originaire de Bretagne. Son père, Abdel-Razak, est natif d’un petit village Syrien près de Homs. C’est un panarabiste[1] convaincu. Il croit profondément que l’éducation est la planche de salut du peuple arabe. Avec une nouvelle génération instruite et moderne, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord deviendront, selon Papa Sattouf, un modèle, une troisième voie entre l’URSS et l’Occident capitaliste. Bref, il croit en l’Arabe du futur!

Une fois son doctorat en histoire décroché, Abdel-Razak quittera donc la France, avec sa femme et le petit Riad alors âgé de deux ans, pour aller enseigner dans la Lybie de Kadhafi. Nous découvrons alors avec eux une société surréaliste où l’impensable est possible. Dans ce pays, si vous quittez la maison pour aller faire des courses, il se peut qu’une autre famille s’y installe pendant votre absence : c’est la conséquence directe de l’abolition de la propriété par le Guide de la Révolution de la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste. Chacun est désormais libre d’occuper un lieu où il n’y a personne, toutes les portes étant déverrouillées. Les quelques cases où le père Sattouf fait la lecture du petit livre vert qui est écrit par le Guide de la révolution sont délirantes : « Selon les gynécologues, les femmes ont leurs règles chaque mois. » Ou encore : « Si une communauté a pour coutume de porter du blanc en signe de deuil, et qu’une autre porte du noir, ici on détestera le noir et vice versa. Ces sentiments ont une influence physique sur les cellules et les gènes. En héritant des sentiments des ancêtres, leurs successeurs détesteront spontanément la couleur que ceux-ci détestaient. »

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Après quelques années passées dans cette société orwellienne, la famille Sattouf déménagera dans le village natal d’Abdel-Razak près de Homs, en Syrie. Pendant que papa enseigne le jour à l’université, Riad, son petit frère et leur mère sont confinés dans la maison familiale au cœur de ce village isolé sans courrier, ni téléphone. Les seuls contacts qu’ils auront seront avec la famille du père et encore ces relations seront minées par les barrières culturelles. Dans cette Syrie de Hafez el-Assad, père de Bachar, l’actuel dictateur au centre de la guerre civile, le petit Riad, plus conscient de l’univers qui l’entoure qu’il ne l’était en Lybie, découvre un monde de l’enfance dur et violent avec ses cousins Anas et Moktar, qui le persécutent en le traitant de juif à cause de ses longs cheveux blonds. L’auteur nous présente les petits villageois comme étant plus matures, mais aussi plus brutaux. On les voit régulièrement faire souffrir ou carrément tuer des animaux gratuitement. Ils grandissent dans la culture militariste de la dictature et de la haine profonde du juif. La politique est partout, même les jouets en sont marqués. Les petits soldats syriens en plastique sont moulés dans des poses héroïques tandis que les figurines représentant les militaires israéliens sont figées dans des postures peu édifiantes, avec des traits carrément reptiliens. Le petit Riad peine donc à trouver sa place dans cet univers déstabilisant.

Au final, voilà une très bonne bande dessinée à la hauteur du talent et de la réputation de Riad Sattouf, qui fait partie du club d’élite de la nouvelle bédé française aux côtés des Blain, Sfar et Larcenet. Le ton est toujours juste entre l’humour, la dérision et le didactique. Et Sattouf nous livre de précieuses clés pour comprendre ces Syriens qu’on voit souffrir et s’entredéchirer depuis trois ans sur nos écrans.

Toutefois, il y a un mais. Un irritant majeur m’a agacé tout au long de la lecture : le personnage central du récit, le père, est insupportable. C’est un homme suffisant, chauvin et macho. Il se veut non pratiquant, instruit, éclairé et progressiste, mais défend bec et ongle tout ce qui touche à l’islam, et dénigre toute autre religion. Paradoxalement, il ressent un profond dégoût envers ses concitoyens. Il croit intimement que tous les dictateurs arabes sont nécessaires pour faire travailler et étudier ce peuple de paresseux qui ne ferait rien sans cela. Après avoir lu et écouté quelques entrevues avec Riad Sattouf, j’ai l’impression que l’auteur est lucide face à son père et qu’il en rend une image assez fidèle. Il le qualifiait même cette semaine sur France Inter « d’extrémiste de droite ». Malgré ses défauts, Sattouf fils tient à dépeindre Abdel-Razak comme un personnage coloré et quasi clownesque dans certaines situations. Certains le trouveront donc attachant, d’autres pas (ce qui est mon cas). Toutefois ce facteur n’affecte en rien la qualité de cette bande dessinée. Voilà un album qu’il fait bon lire parce qu’il nous permet de mieux cerner les enjeux sociohistoriques d’une région du monde que l’on connait mal. Et le récit des souvenirs d’enfance de Riad Sattouf est drôle, rafraîchissant et captivant.

 7.5/10

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Titre: L’arabe du futur: Une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984)

Auteur: Riad Satouf

Allary Édition (2014)

[1] Mouvement préconisant la fédération de toute les nations arabes.

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