Par Danyrou :
L’amitié trouve tout son sens dans les coups fourrés que peut nous réserver la vie. Heureux, qui comme Pierre, Mimile et Antoine ont encore des amis d’enfance qui sont là pour soi à 75 ans passés. Le talentueux scénariste Wilfrid Lupano, qui s’était fait entre autres remarquer avec L’homme de l’année et Ma révérence, s’est associé au dessinateur Paul Cauuet pour nous offrir le premier tome de Les Vieux fourneaux, une comédie sociale où il est question de vieillissement, de choc générationnel, de lutte des classes et évidemment d’amitié… juste ça!
L’album commence avec la réunion des trois compères lors du décès de la belle Lucette, la femme d’Antoine, morte tout doucement au terme d’une longue maladie. Antoine est heureux de retrouver ses vieux amis. Il y a Pierre, l’anarchiste à la tête d’un groupe nommé « Ni Yeux, ni Maître » composé de séniors aveugles qui font du terrorisme situationnel lors de soirées branchées, d’évènements politiques ou de réception, pour foutre le bordel. Pierre raconte fièrement à ses amis qu’ils représentent le cauchemar de tout service de sécurité, vu leurs âges et leurs handicaps. Mimile, sous ses airs plus discrets, s’avère avoir été un fameux séducteur et globe-trotter dans ses jeunes années. Les trois amis resteront ensemble quelques jours après la crémation de Lucette pour partager des souvenirs et soutenir Antoine. Ce dernier doit se voir remettre une lettre que sa femme a déposée chez le notaire et qui ne doit être lu par son époux qu’après sa mort. Ce petit détail inquiète un peu l’ancien syndicaliste militant qui a affronté et embêté durant quarante ans son patron Garan-Servier à la tête d’une multinationale pharmacologique.
Se joint aussi au trio la belle Sophie, petite-fille d’Antoine qui est revenue de Paris enceinte il y a quelques mois après avoir tout plaqué et sans ne fournir à personne la moindre explication. Installée à la campagne, Sophie a repris le théâtre de marionnette de Lucette « Le loup en slip » et parcours comme elle les villages de la région dans son camion rouge pour présenter ses spectacles dans les écoles. Lorsque le grand jour arrive, Antoine se rend chez le notaire pour prendre connaissance de la fameuse lettre. Il ne tarde pas à revenir chez lui, visiblement hors de lui. Il passe devant Mimile et Pierre sans leur adresser la parole, va chercher son fusil de chasse, remonte dans sa voiture et repart sur les chapeaux de roue. C’est alors que commence la course de Mimile et de Pierre pour rattraper leur copain qui semble en voie de faire une connerie. Sophie se joindra à eux pour rattraper son grand-père, car elle sait ce que contenait la lettre et qui Antoine va descendre.
Je dirai sans hésiter que ce que nous offre Lupano et Cauuet est un petit bijou de bande dessinée. Les textes et les réparties sont redoutablement efficaces et imprévisibles. Le pétage de câble de Sophie contre la génération de son grand-père est une pièce d’anthologie à elle seule. (Je reprocherai toutefois un peu à l’éditeur d’en vendre bêtement la mèche en quatrième de couverture.) Les personnages sont truculents et complètement hors norme. Drôle et touchant à la fois. J’ai adoré Pierre : ce septuagénaire complètement délinquant et mal embouché est réjouissant. On veut tous être un vieux comme ça. Comme on dit en bon québécois, voilà un vrai « mal commode. »
La fin de ce premier tome nous laisse avec un dilemme moral de taille et on se languit d’en lire la suite. Heureusement, nous n’aurons pas à attendre longtemps puisque la sortie du deuxième volet est prévu en octobre. Les dessins de Cauuet sont très expressifs et s’accordent à merveille avec le scénario. Je dois avouer que c’est mon coup de cœur pour 2014 pour le moment.
9/10
Les Vieux fourneaux; tome 1; Ceux qui restent
Auteurs; Wilfrid Lupano (scénario) Paul Cauet (dessin)
Édition: Dargaud (2014)
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