J’étais au cégep la première fois que j’ai eu entre les mains une uchronie. Un copain m’avait refilé Le Maître du Haut Château de Philip K. Dick (1962) dans lequel les alliés avaient perdu la Deuxième guerre mondiale et le territoire américain était divisé entre Allemands et Japonais. C’était troublant.
Voilà qu’un autre livre décoinçant l’histoire arrive dans ma bibliothèque. Quand le lecteur découvre qu’il a été scénarisé par le génie tourmenté de Jonathan Hickman (Fantastic Four, Avengers), il sait qu’il s’embarque pour toute une aventure. Hickman, c’est le type d’auteur qui ouvre toutes les portes des possibles ; son imagination est sans fin et ses idées de grandeurs sans limite.
Au début, l’histoire suit tranquillement l’Histoire. Les États-Unis sont impliqués dans la Deuxième guerre mondiale et le président Roosevelt approuve un projet de développement de la bombe atomique. Il demande au major général Leslie Richard Groves de se trouver une équipe de chercheurs. Celui-ci convainc le physicien Robert Oppenheimer de diriger le centre de recherche.
À partir de ce moment, le récit part en vrille. Le projet Manhattan n’est qu’une façade pour le public et les médias afin de couvrir une tonne de projets pas mal plus farfelus et dangereux : portes dimensionnels, robots, téléportation et j’en passe. Voilà qu’apparaît aussi au détour Albert Einstein qui n’est pas du tout le gentil savant pacifiste que l’on connaît.
D’habitude, Jonathan Hickman écrit avec un plan très précis et ne se gêne pas pour distiller des éléments incompréhensibles qui prennent sens à la toute fin. Dans une entrevue récente, il disait vouloir essayer un style plus automatique et ça paraît ; pour notre bon plaisir, le récit va un peu dans toutes les directions. Certains lecteurs par contre pourront en être agacés. Pas moi. Et les dialogues restent toujours des bijoux d’humour d’absurde.
Les dessins de Nick Pitarra ajoutent à cette pétarade incroyable. Son trait est tremblotant, imprécis, loin de cette nouvelle tendance à vouloir faire du dessin une expérience introspective. Au contraire, le lecteur a l’impression que tout bouge et que les personnages sont réellement en mouvement (un peu à l’image de ceux d’Uderzo). Davantage, chaque case surchargée de détails multiplie ce roulis infernal.
Ce n’est pas une bédé pour les puristes ni pour les puritains, mais pour le lecteur qui veut s’en donne la peine, les engueulades Oppenheimer-Einstein, le cannibalisme (hé oui) et les combats de samouraïs robots deviennent une expérience jouissive.
Le tome 2 français arrivera cet automne.
8,5/10
Projets Manhattan tome 1
Auteurs : Jonathan Hickman (scénario) et Nick Pitarra (dessins)
Éditeur : Delcourt (2013)
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