Par Danyrou :
Chaque matin, je me réveille au son du bulletin de nouvelles de 7 heures. J’ouvre lentement les yeux pendant que l’on me parle de Vladimir Poutine, d’Ukraine, de Gaza, de la barbarie de l’État islamique ou des menaces de l’Ébola. Et comme la plupart des mes contemporains, je me soucie plus ou moins de ce que l’Afghanistan ait disparu de nos écrans-radars. En effet, le retrait progressif des troupes de l’OTAN d’Afghanistan[1] s’accompagne d’une lente désaffection des journalistes occidentaux, soucieux de dénicher de nouveaux sujets d’actualité. Heureusement, Pascale Bourgaux, reporter à la télévision publique belge, nous reparle de cette fascinante région dans une bédéreportage Les Larmes du seigneur afghan, publiée chez Dupuis et merveilleusement illustrée par Vincent Zabus et Thomas Campi.
Cet album raconte l’ultime voyage de Pascale Bourgaux à Dasht-e-Qaleh en 2011. Accompagnée d’un caméraman, elle souhaite y tourner un documentaire sur Mamour Hassan. Fidèle allié du commandant Massoud avec qui il combattit les talibans, ce seigneur de guerre et sa famille se sont liés d’amitié avec la journaliste depuis son premier séjour à Dasht-e-Qaleh, un village du nord du pays qu’elle découvrit en 2001 alors qu’elle était affectée à la couverture de l’invasion occidentale contre le régime taliban. Pascale Bourgaux reviendra d’ailleurs souvent leur rendre visite, autant à titre de journaliste qu’en tant que fidèle amie.
Malheureusement, ce tournage qui s’annonçait comme d’heureuses retrouvailles ne se déroule pas comme prévu. Le village n’est plus complètement celui que la journaliste croyait retrouver. En effet, le Mamour Hassan qu’elle redécouvre est toujours respecté par sa tribu, mais il n’est plus aussi influent. Laissé pour compte par l’État central corrompu de Karzaï, privé de revenus importants et menacé par les talibans désormais aux portes de son fief, le vieux sage est inquiet. Déçus par la démocratie occidentale, ses fils se révèlent de plus en plus de sympathiques à l’ennemi.
Bourgaux, aidée de son caméraman Gary, tentera de réaliser son projet de documentaire en dépit de ce contexte difficile. Son récit nous fait découvrir un métier éprouvant physiquement et psychologiquement. Un travail où la menace du kidnapping est omniprésente : une phrase de trop ou un geste mal avisé peut tout faire basculer. Malgré la protection et l’hospitalité de Mamour qui leur assure une certaine immunité, la journaliste et son caméraman sont intimidés à quelques reprises par des villageois hostiles à leur présence. On perçoit clairement que sans l’influence morale du vieux combattant le village passerait du côté taliban. Selon Bourgaux, l’état d’esprit de Dasht-e-Qaleh nous donne une idée assez limpide du moral général du pays.
Après 13 années de combat contre les talibans, de coopération internationale, d’effort pour reconstruire ce pays, l’Occident est confronté à un échec. Il est urgent de repenser les modes d’intervention dans les pays dont « nous voulons le bien ». Avons-nous appris de nos erreurs? Après le cas afghan, l’Irak des barbares de l’État islamique me rappelle chaque matin à 7 heures que peut-être que non. Outre ce constat un peu déprimant, Les Larmes du seigneur afghan est une très bonne et belle bédéreportage, grâce au duo de dessinateur Zabus/Campi.
8.5/10
Les Larmes du seigneur afghan
Auteurs : Pascale Bourgaux (scénario) Vincent Zabus, Thomas Campi (dessins)
Édition : Dupuis : Air Libre (2014)
80 pages
[1] Retrait total prévu pour la fin 2014.