Par Dany Rousseau :
Une chose est certaine, l’album dont nous vous entretiendrons aujourd’hui pourrait sans conteste être intégré à notre dossier portant sur la Première Guerre mondiale que nous avons publié en juillet. Le chant du cygne; t.1 Déjà mort demain, est l’oeuvre d’un duo de scénaristes aguerris aux succès confirmés, Émmanuel Hertzet et Xavier Dorisson. Leur récit nous transporte en avril 1917, lors de l’offensive mal préparée et meurtrière du « Chemin de Dames ». Menée par le généralissime Nivelle, la bataille qui devait terminer la guerre se transforme vite en boucherie pour l’armée française. Les soldats épuisés et démoralisés par trois années d’enfer se mettent alors à refuser de monter à l’assaut. Des mutineries éclatent partout sur le front. Des régiments complets sortent de leurs tranchées non pour se battre, mais pour réclamer la fin de la stratégie stupide des attaques à outrance qui se soldent par des milliers de morts inutiles. Les poilus veulent aussi de meilleures conditions de vie et des permissions. L’état-major français est inquiet.
C’est dans ce contexte que l’on fait connaissance avec Larzac, un soldat de la section du lieutenant Katzinski, qui se voit confier une pétition par un ami rencontré lors du retour d’une autre vaine offensive. Document explosif circulant sous le manteau, cette pétition signée par des milliers d’hommes pourrait provoquer la chute du gouvernement et du général Nivelle si elle arrivait jusqu’à l’Assemblée nationale. La pétition est une condamnation à mort pour le soldat qui se retrouvera en sa possession. C’est pourquoi Larzac demande à ses copains de la signer et de tenter de la remettre en douce à un permissionnaire qui la portera jusqu’à Paris.
Cependant, à la suite d’une série de dérapages, les six poilus de la section se retrouvent déserteurs, accompagnés par le bourru sergent Pat et l’intègre lieutenant Katzinski. En cavale sur les routes de France, poursuivis par le cruel commandant Morvan, les six hommes cherchent à atteindre Paris à tout prix au nom de leurs frères d’armes. Ils espèrent que leur geste désespéré qui les condamne à mort pourra ainsi suspendre une offensive prévue dans quatre jours qui sera une nouvelle fois un massacre en règle.
Ce récit de fictions plein de rebondissements reste bien collé à la réalité des mutineries de 1917. Les scénaristes sont au diapason des nouvelles interprétations des historiens sur la question. On appréhende maintenant les mutineries de 1917 non pas comme un mouvement antimilitariste, mais comme une désapprobation envers des officiers jugés ignorants des réalités de la guerre moderne. Les hommes de Katzinski ne sont pas pacifistes, ils veulent gagner au plus vite cette guerre et, pour ce faire, ils réclament des chefs qui les mèneront à la victoire et cesseront de les sacrifier pour rien.
On s’attache rapidement aux soldats de la section Katzinski, des personnages à la fois drôles et tragiques. On embarque dans leur aventure et on s’étonne de s’inquiéter du sort qui les attend. Notons que les aquarelles de Babouche et ses personnages inspirés par le manga ne sont pas étrangers à la grande qualité de cette bédé qui se démarque dans l’avalanche de publications offertes pour l’occasion du centenaire de la Grande Guerre. Donc, une bonne histoire, qui nous tient en haleine et, espérons-le, ne nous laissera pas trop longtemps en suspens. Rendez-vous pour le tome deux.
8.5/10
Le chant du cygne; t1. Déjà mort demain.
Auteurs : Xavier Dorison et Émmanuel Herzet (scénario) Cédric Babouche (dessin)
Éditeur : Le Lombard; collection Signé (2014)
60 pages