L’expression « the wake » en anglais possède plusieurs significations. Tout d’abord, c’est une veillée funèbre, lorsque l’on reste éveillé toute la nuit, possiblement dans un état second, auprès d’un mort. Elle peut aussi décrire un sillage, qui peut être autant la trace d’un bateau sur l’eau que les séquelles du passage d’un évènement exceptionnel.
Cette bande-dessinée, écrite par Scott Snyder, scénariste des plus récents Batman, que Dany Rousseau a déjà encensé, et dessinée par Sean Murphy, créateur du génial Punk Rock Jesus, raconte une épopée de science-fiction qui touche à chacune des définitions de cette « Wake ». L’histoire, que je tâcherai de ne pas trop révéler pour que vous puissiez profiter de tous ses rebondissements, est incroyablement ambitieuse et se passe en grande majorité sur une période de 200 ans, avec des flash-backs remontant à… des milliards d’années.
La première partie, parfaite, est digne des meilleurs films d’horreur et de science-fiction. Nous sommes en 2014, et Lee Archer, experte en cétologie, est recrutée pour enquêter sur un phénomène apparu lors d’un forage en Alaska. Elle est accompagnée, entre autres, d’un expert en mythologie et d’un vicieux chasseur d’animaux en voie d’extinction. Ils sont sur le point de découvrir une espèce vivante jamais vue et très dangereuse pour les humains.
Snyder, qui fait partie des meilleurs scénaristes de sa génération, réussit à créer de grands moments pour chacun de ses personnages. La scène de combat entre le chasseur et l’une de ces créatures contient une case d’un magnifique humour noir, digne de Franquin. Quant à Sean Murphy, son utilisation des ombres donne une dimension profondément angoissante à cette histoire.
La seconde partie a lieu 200 ans plus tard. Nous sommes, vous l’aurez deviné, dans un monde post-apocalyptique. Or, la présentation de ce monde est très surprenante: au lieu de dessiner une planète sale et une humanité traumatisée par les événements qui ont eu lieu en 2014, Sean Murphy modifie son style. On passe de l’utilisation de beaucoup de zones d’ombres à un monde sensuel, ultra-coloré; nous avons alors des images parfois dignes d’une manga : lorsque Leeward, la protagoniste de la deuxième partie de l’épopée, saute au-dessus d’une falaise, le verbe « LEAP! » est écrit en-dessous de ses jambes interminables. D’autres fois, on a des rappels à la bédé européenne. Par exemple, le gigantesque bateau où Leeward est temporairement condamnée à ramer, m’a fait penser à une scène d’Astérix légionnaire.
Scott Snyder cache longtemps le mystère sur le lien entre les deux parties de son histoire et le dénouement est très surprenant. Cette histoire a certainement pour but de nous faire réfléchir sur les bases de notre société et même l’origine de notre espèce. Le double-message de The Wake va très loin.
Le plus grand défaut de The Wake est que la seconde partie, de longueur égale à la première, est bien trop courte. L’histoire de 2014, d’environ 110 pages, est complète et ne nécessite aucun ajout. Cependant, les 110 pages suivantes restent trop souvent à la surface des improbables aventures de Leeward et de son ami Dash, un dauphin cybernétiquement modifié.
C’est comme si (alerte générale : dans neuf mots, BDmétrique va être inondé de geekitude. Évacuez immédiatement l’Internet !), pour la récente refonte de Battlestar Galactica, la série principale de quatre saisons avait finalement été limitée à trois heures pour être de la même longueur que la mini-série qui, en 2003, avait relancé le mythe de la guerre entre les humains et les Cylons.
J’aurais apprécié avoir une exploration plus profonde, sur plusieurs centaines de pages, du monde de 2214, imaginé par Snyder et Murphy. Ça aurait permis au duo de mieux préparer le terrain pour le dénouement de leur histoire, qui arrive trop rapidement.
Malgré ce bémol, si nous tenons compte de la perfection de la première partie, du contraste saisissant lorsque l’on entame la deuxième, et de l’ambition surhumaine de cette épopée, The Wake peut être considérée une oeuvre essentielle pour tous les bédéphiles amateurs de science-fiction, et elle devient encore plus impressionnante après une seconde lecture, lorsque l’on comprend tous les liens tissés dans l’histoire depuis la première page.
N’hésitez pas à laisser vos commentaires en bas de cette chronique si vous voulez discuter de cette bédé après l’avoir lue !
8,5/10
L’album original anglais sera disponible en magasin en format rigide le 11 novembre 2014.
The Wake
Auteurs : Scott Snyder (scénario) Sean Murphy (dessins)
Éditeur : Vertigo (2014)
220 pages