Quand j’ai su ce printemps que les géniaux Joann Sfar et Lewis Trondheim mettaient fin à leur série Donjon en publiant ses deux derniers albums, j’ai eu un pincement au cœur. Leur projet était si fou, si grandiose, qu’il semblait immortel. Mais non. Sous mes yeux trônent tristement les tomes 110 Haut Septentrion et 111 La fin du Donjon (à la couverture, ma foi, fort émouvante).
Levez la main ceux qui ne connaissent pas le Donjon… Sérieux ? Tant que ça ? Grands amoureux du merveilleux héroïque (heroic fantasy) et des jeux de rôles, Sfar et Trondheim ont lancé en 1998 une grande série fantastique sans limite d’album (ils voulaient dépasser 300 tomes). Au centre, le Donjon, une forteresse où les aventuriers viennent chercher la gloire et où Herbert le canard, le personnage principal (mais il y en a bien d’autres) mettra un jour la patte.
Les albums de la séries se classent en cinq catégories : Donjon potron-minet sur les débuts du gardien du Donjon, Donjon zénith sur la gloire du Donjon, Donjon crépuscule sur la fin du Donjon, Donjon Monsters qui suivent des personnages en parallèle des trois séries principales et Donjon Parade, sur les aventures humoristiques de Herbert et Marvin. En chiffre, les deux alchimistes ont publié 36 albums en 16 ans, davantage qu’Astérix (35 albums en 55 ans).
Mais plus que les nombres, Donjon a révolutionné le genre fantastique qui, depuis Tolkien, était extrêmement codifié et fatigué. Grâce à leur humour particulier, souvent proche de celui de Woody Allen, et à leurs histoires aux différents tons prenant les clichés à contre-sens, les albums se lisent avec une frénésie et un bonheur renouvelés. Donjon est aussi devenu au fil du temps un incroyable laboratoire à dessins où des auteurs aussi différents que Carlos Nine ou Larcenet se sont attaqués à cet univers loufoque et baroque.
Il devient alors difficile d’écrire une critique portant sur ces deux seuls albums. D’abord, parce qu’ils terminent l’histoire et s’intègrent dans le long parcours, bourrés de bons et moins bons albums, qu’est la vie et la mort du Donjon. Ces albums ne tiennent pas seuls mais formulent toute la somme de ce qui restait à dire : ils sont à la fois très chargés d’explications mais aussi d’émotions.
Haut Septentrion et La fin du Donjon racontent la même histoire, le combat final entre les héros et l’entité noire, mais du point de vue de différents personnages. Il faut donc lire les deux albums l’un après l’autre pour comprendre le nœud ultime. Le procédé est loin d’être réussi à cause de la lourdeur des éclaircissements et des trous que contient chaque album qui rendent la lecture chaotique. Mais les magnifiques dernières pages de l’un et de l’autre effacent un peu cette sensation de roulis.
Le dessin d’Alfred, plein de belles lignes claires, est très classique et manque un peu de personnalité. Par contre, les vastes plateaux de bataille sont bien rendus. Mazan, avec une touche un peu plus floue, ajoute une sensibilité naturelle aux personnages même dans les scènes les plus idiotes. Et ses dernières cases sont à pleurer.
Terminer une œuvre vieille de plus de 10 ans n’est jamais facile : applaudissons les auteurs pour avoir eu le courage de mettre un point final à un récit grandiose.
7,5/10 pour les deux albums
10/10 pour cette épopée extraordinaire
Donjon (tomes 110 et 111) Haut Septentrion et La fin du donjon
Auteurs : Joann Sfar et Lewis Trondheim (scénario) et Alfred et Mazan (dessins)
Éditeurs : Delcourt (2014)
48 pages chacun