Par Dany Rousseau
Notre folle semaine se poursuit aujourd’hui avec la recension de trois nouveaux titres. Ainsi, Bdmétrique vous donnera une nouvelle fois « la bonne mesure de la bande dessinée » ou plus humblement ajoutera un ou deux bouquins à votre liste de lecture pour ne pas sortir trop amoché de la grisaille de l’hiver.
Les chroniques suédoises – Un peu de Suède dans ce monde de brutes
Ah le modèle suédois! Si le système socio-économique nordique fait rêver tous progressistes occidentaux, dès que l’on feuillette les chroniques de Nil Glöt, nous comprenons rapidement que le modèle suédois exposé ici est utopique et poétique. Tirées d’un étrange blogue rédigé par l’énigmatique Glöt, les chroniques sont en fait l’œuvre d’un jeune illustrateur français, Thomas Lapanous, qui s’amuse ferme avec son alter ego militant de la cause viking et riche aventurier. Cet ovni « bédéesque » raconte à travers différentes rubriques farfelues une Suède plus que parfaite, véritable Pays de Cocagne. Nil Glöt nous explique comment dans son pays la loto ne fait pas remporter d’argent, mais des rêves ou encore comment les braqueurs de banques sont accueillis à bras ouverts par les otages (un syndrome de Stockholm inversé). C’est un livre étrange. Je me suis demandé plusieurs fois au cours de ma lecture quelles étaient les véritables intentions de l’auteur? En refermant l’ouvrage, mes questions sont restées sans réponses. Cependant, sans être extraordinaires, Les chroniques suédoises nous font parfois sourire et même à l’occasion rêver à l’existence d’un pays où les jouets violents deviennent gentils.
Les chroniques suédoises – Un peu de Suède dans ce monde de brutes
Auteur : Nil Glöt
Éditeur : Delcourt (2014)
157 pages
Le Pigeon de la onzième heure
Au réveil d’un cauchemar troublant, Martin aperçoit l’ombre d’une femme assise au bout de son lit. L’apparition immobile et mystérieuse n’effraie pas Martin qui l’a reconnu du premier coup d’œil. Il a compris immédiatement ce que sa présence signifiait. Martin sait qu’aujourd’hui ne sera pas seulement son dernier jour de travail à l’usine avant la retraite, mais sera aussi son dernier jour sur terre. Martin n’est pas effrayé. Au contraire, il sourit en se rendant à l’usine pour la dernière fois après quarante ans de services. Martin est convaincu qu’avec son existence ascétique de célibataire stakhanoviste faisant l’envie de tout patron que le paradis lui est assuré. Comme la dame l’a annoncé, Martin s’écroule avant la fin de son quart travail, la figure dans son plat de purée, terrassé par une crise cardiaque. Toutefois, son arrivée dans l’au-delà sera ponctuée de plusieurs embuches; le chaos bureaucratique qui règne dans l’administration divine n’en sera qu’un avant-goût. Encore une fois, je vous propose une lecture étrange, mais cette fois-ci j’embarque complètement dans l’univers de Nicolas Poupon où l’originalité, le surréalisme et l’humour noir nous surprennent au détour de chacune des pages. Même si parfois le récit atypique peut paraitre confus, chaque élément contribue à l’échafaudage d’un dénouement étonnant et jubilatoire. Une belle réflexion métaphysico-absurde sur le travail, la condition ouvrière et Dieu.
Le Pigeon de la onzième heure
Auteur : Nicolas Poupon
Éditeur : Aaarg! (2014)
96 pages
Le Soldat
Revenons à quelque chose d’un peu plus conventionnel, soit l’adaptation libre d’un classique de la littérature de guerre américaine, La conquête du courage de Stephen Crane, publié en 1895. Le Soldat raconte l’histoire d’Henry, jeune recrue naïve de l’armée nordiste lors de la guerre de sécession étasunienne. Soldat de l’union motivé, Henry s’applique à se donner des airs de dur devant Wilson, son ami d’enfance. Cependant, derrière cette façade, Henry est rongé par la peur à la veille d’un affrontement contre les forces sudistes. C’est ainsi, comme il le craignait, qu’il verra sa volonté se lézarder lors du jour J. Poussé par la panique, il se cachera dans un fourré afin de sauver sa peau. Lorsque tout redevient calme, le sang qui coule sur son visage – dû à une blessure accidentelle — lui donnera le statut de héros aux yeux de ses frères d’armes qui le croient blessé par balle. Harcelé par le fantôme du vieux Jim, mort lors du combat, Henry sera tiraillé entre ses remords et ses hésitations. Il s’enfoncera ainsi dans un dilemme sans issue lorsqu’il apprendra que leur compagnie est destinée à une mission suicide. Si à l’origine le roman de Crane est militariste et patriote – Henry finit par vaincre sa peur pour devenir un héros américain —, le scénariste Olivier Jouvray et le dessinateur Efa en font un récit profondément pacifiste. Le thème principal de cette version bédé se résume en un questionnement sur ce qui peut pousser « monsieur-tout-le-monde » à faire la file aux caisses du Costco un jour et à tuer son semblable le lendemain. Avec un scénario moyen et un propos de nombreuses fois exploitées en bande dessinée comme ailleurs, ce livre ne se démarque malheureusement pas par son originalité ou la profondeur de sa réflexion. Heureusement, le dessin réaliste d’Efa relève un peu la sauce qui autrement serait bien fade.
Le Soldat
Auteur : Olivier Jouvray (scénario) Efa (dessins)
Éditeur : Le Lombard, collection SIGNÉ (2014)
66 pages