Prévert, inventeur

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source : Cailleaux, Dupuis (2014)
source : Cailleaux, éd. Dupuis (2014)

par Pedro Tambièn

Comment aborder une biographie sur Jacques Prévert ? Ce poète pionnier de l’humour français, dont les recueils de poèmes, les livres pour enfants et les scénarios de films ont marqué la culture française du dernier siècle, est-il un personnage trop grand pour le cadre d’une bande dessinée ?

Le scénariste Hervé Bourhis et le dessinateur Christian Cailleaux, qui s’étaient frottés au mythe de Boris Vian dans Piscine Molitor, ont eu plusieurs excellentes idées pour relever ce défi. D’abord, ils ont écarté la période de son enfance à l’exception de deux très courts retours en arrière. L’histoire démarre à Istanbul, où Prévert termine son service militaire et où il va rencontrer son grand ami Marcel Duhamel, qui, quelques années plus tard, accueillera dans son hôtel les soirées pré-surréalisme.

Plusieurs scènes à Istanbul sont particulièrement absurdes. Un matin, un colonel français demande à Prévert et Duhamel d’apprendre l’anglais à ses fils. À vos ordres ! Quelques heures après, les fils reviennent avec un seul mot (imaginaire) de plus à leur vocabulaire anglais, mais l’haleine pleine d’effluves de Samos et la tête bourrée de calembours de l’ami Jacques.

Dans ce premier tome, Prévert s’installe à Paris, mais prend du temps à écrire et à publier ses créations. Toutefois, appuyé par ses exploits oratoires et alcoolisés, il devient très vite influent auprès de ses contemporains : l’écrivain André Breton, le peintre Yves Tanguy, mais aussi le sculpteur Giacometti dans une scène très courte mais très drôle.

source : Cailleux, éd. Dupuis (2014)
source : Cailleux, éd. Dupuis (2014)

La seconde bonne idée du duo est de se plier au génie de Prévert et de déconstruire la structure classique de la bédé pour le laisser en devenir l’inventeur comme le titre le promet. Il n’y aura pas de case prédéfinie dans cette biographie. Les personnages débordent sur les scènes des autres, les rêves sexuels des uns s’allongent à côté de ceux qui ne font qu’en discuter. Les perspectives sont chamboulées et la table est mise pour le cadavre exquis (1).

On sent dans cette bédé l’effervescence et le dynamisme du Paris de l’entre-deux-guerres où de nouveaux mouvements pouvaient naître de presque rien et révolutionner la culture nationale.

Passionnante, cette série a le potentiel d’être aussi puissante que celle de Julie Briman et Clément Oubrerie sur Picasso (Pablo chez Dargaud), un autre contemporain installé à Paris que notre ami Prévert rencontrera sûrement dans un des tomes suivants.

8/10

Prévert, inventeur

Auteurs : Hervé Bourhis (scénario) Christian Cailleaux (dessins)

Éditeur : Aire Libre-Dupuis (2014)

72 pages 

(1) Tiré de Wikipedia :  Le principe du jeu est le suivant : chaque participant écrit à tour de rôle une partie d’une phrase, dans l’ordre sujet–verbe–complément, sans savoir ce que le précédent a écrit. La première phrase qui résulta et qui donna le nom à ce jeu fut « Le cadavre – exquis – boira – le vin – nouveau ».

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