Moi René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag IIB; Mon retour en France

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Par Dany Rousseau

Casterman (2014) Jacques Tardi
Casterman (2014) Jacques Tardi

Dans les années 80, Jacques Tardi avait confié à son père René une mission. Sachant que ce dernier avait été interné dans un camp de prisonniers de guerre en Poméranie après la débâcle française de mai et juin 1940, le bédéiste lui avait demandé d’écrire ses souvenirs. L’ancien Kriegsgefangener remplit trois cahiers d’écolier, calligraphiés avec application. Il fallut cependant attendre plusieurs années avant que Tardi fils ne se plonge dans ces mémoires et patienter jusqu’en 2012 pour voir la publication du premier tome de Moi René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag IIB. Si dans ce premier volet, Jacques racontait la courte guerre de son père et son internement jusqu’en janvier 1945, Stalag IIB; Mon retour en France traite de la longue marche des Français évacués par les Allemands qui ramènent tous leurs prisonniers de guerre vers l’Ouest afin de fuir l’avancée inexorable des Soviétiques, pressés de bouffer du nazi.

Durant quatre mois — de janvier à mai —, entrainés par leurs gardiens, René et ses frères d’armes seront trimballés dans le froid, la neige et la boue. Malades, affamés et roués de coups par leurs garde-chiourmes de plus en plus nerveux de savoir l’Armée rouge sur leurs talons, les perdants de 1940 traineront leurs carcasses pouilleuses dans une Allemagne en ruine où un chaos perpétuel subsiste. Entre les soldats de Wehrmacht qui se rendent à l’Est pour être massacré et les civils qui fuient en sens inverse les exactions de l’envahisseur bolchévique, les Français espèrent la libération alliée. René, tout au long de l’éprouvante marche, tracera son itinéraire au jour le jour grâce à un lambeau de carte Michelin qu’il s’était procurée en échange d’un paquet de cigarettes américaines.

Casterman (2014) Jacques Tardi
Casterman (2014) Jacques Tardi

Comme pour le précédent opus, Tardi conserve toujours la même stratégie scénaristique en s’intégrant lui-même à l’histoire sous les traits d’un gosse déluré des années 40 avec culotte courte et béret. Ce procédé permet ainsi à l’auteur d’établir un dialogue avec son père en lui posant des questions ou en l’interrompant pour préciser le contexte général du conflit ignoré à ce moment par le paternel. De cette façon, nous serons autant informés sur les camps de la mort que sur la débandade de l’armée « aryenne » qui annonce funestement que le grand Reich prédit par Hitler ne durera pas 1000 ans. Le récit de cette marche qui aurait pu s’avérer un peu monotone devient passionnant avec cette approche globalisante de la guerre. Il est aussi troublant de noter la hargne de ces prisonniers endurcis et complètement insensibilisés par les longes années de Stalag. Chaque ville en ruine qu’ils traversent, chaque malheur touchant les civils allemands sont pour eux des occasions de se réjouir. « Simple retour du bâton », dira René.

Casterman (2014) Jacques Tardi
Casterman (2014) Jacques Tardi

Avec cette chronique, Jacques Tardi veut redonner la parole à ces victimes oubliées de 39-45[1]. 1 600 000 hommes reviendront en France après la victoire, humiliés, amers et ne recevant guère de reconnaissance de l’État. Ils acceptèrent mal d’avoir été mis en marge de l’histoire et de leur vie durant cinq ans dans des conditions de détentions difficiles où la faim était la plus fidèle compagne.

Une bande dessinée dense et savamment équilibrée entre l’histoire personnelle et la mise en perspective des grandes pages de la Deuxième Guerre mondiale. Bref, du bon Tardi. On se réjouira d’ailleurs d’apprendre qu’il y aura un troisième volet à Stalag IIB. Ce dernier aura comme sujet le retour en Allemagne du sergent Tardi cette fois comme membre des forces d’occupation.

Casterman (2014) Jacques Tardi
Casterman (2014) Jacques Tardi

9/10

Moi René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag IIB; Mon retour en France

Auteur : Jacques Tardi

Édition : Casterman (2014)

144 pages

 [1] Alors qu’il refuse la Légion d’honneur en 2013, le bédéiste dira alors que lorsque l’on reconnaitra les prisonniers de guerre ils consentira peut-être à recevoir la décoration.

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