Buffalo Runner

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Par Dany Rousseau

Rue de Sèvre (2015) Oger
Rue de Sèvre (2015) Oger

Un regard sur la jaquette d’inspiration XIXe siècle de Buffalo Runner me ramène directement sur la rue Simard à Mistassini. Ce sont les vacances d’été et la journée est pluvieuse. Je regarde un vieux western au canal 10 en tâtonnant distraitement la crosse de mon colt en fer blanc bien rangé dans son étui de cuirette. Tous les jeunes garçons des années 70 ont été cow-boys à un moment ou l’autre de leur enfance…

C’est justement vers ces rêveries de gamins que nous ramène Tiburce Oger dans son Buffalo Runner. Si le dessin évoque la bande dessinée western classique d’une époque que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaitre, le propos s’avère davantage adulte. Même si Oger semble s’amuser comme un petit fou avec ses aquarelles, ses décors et ses ciels magnifiques, il tient toutefois à jeter un regard sur l’univers Far West qui s’éloigne totalement des clichés. Avant de se précipiter dans l’aventure, il a lu de façon compulsive des dizaines de témoignages d’époque. Ce qui fait de l’histoire de son héros, Ed Fisher le Buffalo Runner ou « tueur de bisons »[1], un récit qui colle à la réalité. Ici rien n’est noir, rien n’est blanc, tout est couleur prairie, montagnes et désert.

Rue de Sèvre (2015) Oger
Rue de Sèvre (2015) Oger

Je me suis régalé de ce cow-boy vieillissant, arborant le bouc à la Buffalo Bill, qui sauve la vie d’une jeune fille nommée Mary, après le massacre de sa famille par un groupe de bandits. Fisher, craignant une réplique du reste de la bande, se retranche dans les ruines d’une maison avec l’adolescente à qui il racontera sa vie durant cette veillée d’armes. Enlevé par les Indiens à quatre ans, soldat confédéré, paisible cultivateur, chasseur de bison et finalement homme de main d’un riche aristocrate français, le vieux cow-boy, en relatant son passé, nous peint un portrait lucide de la conquête de l’Ouest.

Cette fresque bien ciselée que nous offre Oger est peuplée d’Indiens menacés de génocide, certes, mais aussi envahie par des Blancs qui ne sont guères en position plus brillante que leurs frères rouges. Issues des masses ouvrières désœuvrées de l’Est, des campagnes miséreuses d’Italie, de Pologne ou d’Allemagne, ces visages pâles crasseux auxquels on a promis l’Eldorado seront en vérité utilisés comme des pions. Sous prétexte de vouloir peupler et civiliser le territoire, le but premier de l’État et de la grande bourgeoisie de la Nouvelle-Angleterre sera plutôt de constituer un marché lucratif pour les usines de la côte Est.

Rue de Sèvre (2015) Oger
Rue de Sèvre (2015) Oger

Sans être une histoire de cow-boy marxiste, je qualifierais sans hésiter la bédé d’Oger de western social. Répété à maintes reprises lors de sa tournée de promotion, le but premier de son travail était de pénétrer la mentalité d’un aventurier de l’époque dont la photographie l’avait ému lors de ses recherches. Il tenait à fuir le recul contemporain pour toucher à l’authenticité de l’âme d’un personnage sorti tout droit du XIXe siècle. Buffalo Runner étant une belle réussite, ne soyons pas étonnés de revoir Oger dans les tops de décembre.

 8.5/10

Buffalo Runner

Auteur : Tiburce Oger

Éditeur : Rue de Sèvres (2015)

78 pages

[1] –Buffalo Runner : nom donné aux tueurs de bisons chargés d’exterminer ces majestueux animaux qui constituaient une ressource vitale pour les peuples autochtones.

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