
par Mathieu T
Durant nos soupers bien arrosés, mes amis et moi avons souvent la même discussion. Eux, ardents défenseurs du roman avec un grand R à l’extérieur duquel il n’y a point de salut et moi, le roquet mal embouché, aux poches pleines de bandes dessinées, qui voue un culte immodéré au 9e art. Un de mes arguments favori veut que la bande dessinée est un savoir-faire qui se prête admirablement bien aux biographies contrairement aux platitudes stylistiques que le quidam trouve sur les rayons des bibliothèques des infirmières de nuit.
D’abord, la bédé est la reine de la concision. Un auteur habile peut résumer en une case une année de la vie de Picasso ou un dessin, une bataille, comme l’a montré ingénieusement Joe Sacco. Deux, l’ellipse, ou ce-qui-se-passe-entre-deux-cases, fait partie prenante de la bédé. Aucun lecteur ne s’inquiète de ces bonds temporelles non-dits et surtout, non-vus. Troisièmement, la bédé permet d’adopter un point de vue spécial de narration qui peut parfois devenir très lourd dans une biographie standard. André le géant respecte parfaitement ces trois prémisses.
André René Roussinoff dit André le géant est issu d’une famille d’immigrants polonais installée dans la campagne française. Rapidement recruté à cause de sa force colossale et de son physique incroyable (il a déjà pesé plus de 600 lbs !), il a rapidement grimpé les échelons de la lutte américaine pour devenir LE lutteur le plus populaire de la planète à la fin des années 70.
Au Québec, sous le nom de Géant Ferré, il est rapidement devenu une icône au côté d’Édouard Carpentier ou Jean Rougeau jusqu’à devenir lui-même un objet de culture populaire (attention, ici vidéo troublant) : https://www.youtube.com/watch?v=N-rljDNn-V4. Je vois encore ma grand-mère Bouliane hurler devant la télévision à chaque fois qu’il faisait son apparition.

L’auteur Box Brown a accompli un boulot formidable afin de mettre sur papier une vie aussi remplie. Tel un historien crédible, il a effectué une recherche rigoureuse et précise. Vous n’avez qu’à feuilleter ses notes concernant ses sources et sa bibliographie à la fin de son volume pour constater l’ampleur de son travail. Il a ensuite adopté un ton fort original si situant entre le narrateur omniscient objectif et l’humoriste pince-sans-rire, ce qui rend la lecture assez drôle et le personnage d’André, très humain. D’ailleurs, il décrit sa vie sans complaisance, n’hésitant pas à écorcher son sujet au passage ou à faire parler des témoins aux propos pas toujours élogieux.
Son dessin noir et blanc est simple et vif, un peu comme celui de Rabbagliati, et se moule parfaitement au récit sans tomber dans la pure caricature. Le lecteur reconnaît plusieurs de ses lutteurs préférés au passage, ce qui ajoute au plaisir (Hulk Hogan !).
La lutte faisant partie du paysage québécois depuis longtemps, La Pastèque nous propose judicieusement un ouvrage emballant très bien traduit qui convaincra sûrement les pro-romans les plus réfractaires.
9/10
André le géant
Auteur : Box Brown
Éditeur : La pastèque (2015)
240 pages