par Pedro Tambien
Roz Chast est une caricaturiste qui a souvent été publiée dans le légendaire magazine New Yorker. Dans Can’t We Talk about Something More Pleasant ?, elle nous présente son journal intime sur les dernières années de la vie de ses parents, George et Elizabeth, qui vivaient dans le même coin décrépit de Brooklyn depuis le début de leur vie commune. Roz, leur fille unique, avait décidé de s’installer relativement loin de cette vie qui ne lui plaisait pas. Lorsqu’elle se rend compte qu’ils deviennent de moins en moins autonomes, elle prend à reculons la responsabilité de leur rendre visite de plus en plus fréquemment.
Au lieu de monter ses parents sur un piédestal, Chast, au contraire, les dessine/caricature comme elle le ferait pour n’importe quelle personne âgée : George et Elizabeth sont ridés, mal habillés, lunatiques, maladroits, mais énormément attachants. Elle ne se gêne pas pour raconter à ses lecteurs tous les défauts de personnalité qu’ils avaient depuis qu’elle les connait et tout ce qui se dégrade chez une personne quand la vieillesse prend le dessus : le manque de propreté, la sénilité, la perte de mémoire, les lubies qui peuvent se transformer en colères…
Chast décrit d’une manière comique et efficace le caractère de cochon d’Elizabeth et les névroses de George, ainsi que d’autres facettes de personnalité dont elle a naturellement hérité. Elle discute plusieurs fois de ses relations problématiques avec eux depuis son enfance. Roz énonce ses inquiétudes par rapport à leur déclin, à la distance autant physique que psychologique entre elle et ses parents et à ce qui va inévitablement arriver, même si le couple refuse d’en parler à leur fille.
Le format de la narration varie entre comic-strips de trois cases, vignettes d’une seule page, histoires familiales qui s’allongent sur plusieurs pages et même des pages simplement remplies de texte comme un journal intime, de photos de leur appartement ou de photocopies de poèmes écrits par la mère de Chast. Le tout est regroupé en quelques chapitres, autour de moments-clés du déclin de son père ou sa mère. On ne peut pas reprocher à Roz de manquer d’unité dans ce livre, qui est un recueil d’informations sur la gestion des personnes âgées, d’évènements de sa vie avec ses parents et de ses sentiments et ressentiments à ce sujet.
Malgré le thème glauque et triste, Chast arrive à trouver de l’humour dans diverses situations, par exemple lorsque sa mère commence à divaguer et raconter des histoires rocambolesques sur sa famille, ou lorsque son père, dans un état de sénilité extrême, observe une brosse à cheveux comme si c’était un objet digne d’un film de science-fiction.
Le livre se termine avec une série de croquis que Roz Chast a fait de sa mère sur son lit, les derniers jours avant son départ. Les croquis, paradoxalement, sont plus précis et réalistes que le style comic strip auquel elle nous avait habitué durant tout le livre. Ils sont remplis de tristesse à la vue de cette mère qui n’a plus l’énergie requise pour se lever de son lit ou même se réveiller plus que quelques minutes consécutives. Mais ils sont aussi pleins d’amour pour celle avec qui, elle avait eu beaucoup de difficultés à trouver un terrain d’entente. Même si Can’t We Talk about Something More Pleasant ? parle d’un sujet désagréable, c’est aussi le plus cadeau que Roz Chast pouvait faire à ses parents et la plus belle façon de vivre son deuil.
7,5/10
Can’t we talk about something more pleasant ?
Auteure : Roz Chast
Éditeur : Bloomsburry (2014)
240 pages, alternant entre la couleur et le noir et blanc