Par Dany Rousseau

Kamarades; t.1 La fin des Romanov
Affalé sous le poids de la chaleur d’août, je regardais les enfants s’amuser dans l’eau tiède du Lac-Saint-Jean qui n’avait jamais été si chaud pour nos vacances. Une seule idée pouvait me faire envisager le retour au train-train quotidien avec sourire : me remettre à la critique de bédés. J’avais hâte de découvrir des histoires et des univers qui m’emportent et m’inspirent. Ma bulle a malheureusement éclaté brusquement avec la lecture de l’insignifiant Kamarades : tome 1 La fin des Romanov. Passionné d’histoire et de Révolution russe, j’étais tout disposé à me laisser embarquer dans cette saga réalisée par l’illustrateur Mayalen Goust et les scénaristes Benoît Abtey et Jean-Baptiste Dusséaux.
L’histoire débute en mars 1917 à Saint-Pétersbourg en pleine révolution bolchévique. Volodia est soldat et révolutionnaire. Ami proche de Staline, il s’est joint aux protestataires qui arpentent les rues de la capitale. Le peuple ne supporte plus la tyrannie du tsar Nicolas II et exige son abdication. C’est au cœur du tourbillon de l’Histoire que Volodia rencontre Ania, une jeune manifestante dont il tombe amoureux. Toutefois, tout commence à se gâcher (et ça vient assez rapidement) lorsque l’on apprend que Ania n’est en vérité nul autre qu’Anastasia, la fille du tsar!!! Évidemment, Nicolas, en apprenant la double vie de sa fille, lui intime l’ordre de cesser de voir le mec en échange de quoi il abolira tout bonnement l’Okhrana, la célèbre et implacable police politique de l’époque tsariste. Et hop, une police secrète de moins pour les beaux yeux de la fifille. J’apprécie les fictions historiques qui sont intelligentes et bien structurées. Cependant, lorsque l’on me sert un scénario aussi bancal, mis au service d’une histoire à l’eau de rose pour midinette, j’ai l’impression que l’on me prend pour un con. Kamarades est une énième variation sur l’histoire d’Anastasia, sur qui courent mille et une rumeurs fantaisistes qui affirment qu’elle aurait été la seule survivante du massacre de la famille impériale le 17 juillet 1918. Cette bédé sans queue ni tête met même au service de son intrigue niaise le triumvirat révolutionnaire de Staline, Lénine et Trotsky qui deviennent ici une triste caricature d’eux-mêmes. Je pourrais encore m’acharner, mais je m’abstiendrai. Je vous épargnerai donc les raisons de l’abdication de Nicolas II, du grand n’importe quoi…
3/10
Kamarades; Tome 1 : La fin des Romanov
Auteur : Benoît Abtey et Jean-Baptiste Dusséaux (scénario) Malayen Goust (dessins)
Éditeur : Rue de Sèvres (2015)
60 pages

L’Essai
Heureusement, j’ai aussi lu à mon retour L’Essai de Nicolas Debon. Publiée chez Dargaud, cette bédé historique raconte l’expérience singulière d’une communauté libertaire fondée dans les Ardennes en 1903 par Fortuné Henry, un anarchiste fils de communard. Une vingtaine de personnes de tout horizon, déshéritées ou idéalistes, tenteront durant six ans de monter une société égalitaire et idéale nommée « l’Essai ». Debon, bien documenté, nous ramène à l’époque où les anarchistes étaient les terroristes de la fin du 19e siècle et du début du 20e siècle. C’est l’époque des bombes qui explosent dans les cafés et où on assassine des impératrices autrichienne au nom de la fin d’un système. Fortuné Henry ne sera pas de cette tendance, même si son frère fut guillotiné pour avoir commis un attentat. Il croit à un modèle pacifique et fraternel. Il croit que l’exemple de « l’Essai » pourra inspirer d’autres initiatives du genre partout en France. Comme le dit Fortuné : « Voilà notre dessein : faire que cette réussite de cet exemple initial essaime d’autres agglomérations d’homme heureux. » (p.78) Plusieurs journalistes, artistes et politiciens visitèrent ce lieu nouveau modèle. Malheureusement, Fortuné Henry et ses camarades causeront leur propre perte lorsqu’ils décideront de s’impliquer concrètement dans les luttes sociales locales en fondant un journal vite victime de censure. Les gens de « l’Essai » deviendront alors suspects aux yeux des autorités.
Le récit de Debon est un véritable plaisir. Il nous sert même avec joie du patois ardennais parlé par les habitants d’Aiglemont, le village voisin (les Québécois y reconnaitront même quelques mots). Le dessin à l’aquarelle de Debon flirte avec l’impressionnisme. Ses contrastes sont bien définis. Les paysages enneigés des hivers rigoureux des Ardennes réjouissent l’œil. Davantage, à La fin de l’album, l’auteur offre plus de détails sur cette communauté et fournit de véritables photos de l’expérience, ce qui complètent à merveille son travail.
8/10
L’Essai
Auteur : Nicolas Debon
Éditeur : Dargaud (2015)
92 pages