
par Pedro Tambièn
Un océan d’amour est la collaboration entre le scénariste Wilfrid Lupano, auteur de l’une des meilleures bandes dessinées de l’année dernière (Les Vieux Fourneaux) et Gregory Panaccione, un créateur qui se spécialise dans les romans graphiques muets, comme Toby mon ami et l’excellent Match.
Cette histoire d’océan parle d’un vieux couple à un stade tellement avancé de leur vie commune qu’à la lecture des premières pages, on croit que l’épouse est plutôt la femme de ménage du bonhomme. Elle est au foyer et prépare les repas, tandis que l’homme part, avant le lever du soleil, pêcher le peu de poissons qu’il reste au large de la côte. Son bateau restant pris dans les gigantesques filets du Goldfish, paquebot qui pêche les poissons par millions, sa femme ne le voit pas rentrer le soir et s’inquiète du sort de leur couple. À travers une enquête qui la mènera vers le bureau-chef du Goldfish puis chez une liseuse de tarot-sur-crêpes (cette scène est mythique), elle croit comprendre que son mari est rendu à Cuba et se décide d’aller le chercher, même si elle a toujours eu peur de voyager et de quitter son patelin.
Pendant ce temps, le mari pêcheur est perdu au milieu d’un océan qui n’a pas beaucoup d’amour, contrairement à ce que le nom de la bédé pourrait nous faire croire : pêcheurs véreux, bateaux causant des marées noires, police navale entêtée, pirates, îles de plastique… Toute la panoplie du saccage des mers par l’être humain n’est pas belle à voir.

Il y a du génie derrière les trames en parallèle du pêcheur paumé, complètement dépassé par les événements, qui se languit de revoir sa femme, et de la vieille dame qui s’émancipe sur le tard. Cette bédé révèle autant la patte de Lupano et sa compréhension des personnes âgées que le talent de Panaccione pour l’humour corporel et les expressions ahuries de certains personnages. La scène où, par le plus pur des hasard, le pêcheur reçoit dans la tarte une crêpe confectionnée par sa femme et provoque en lui un flashback des meilleurs moments de leur vie commune fera éclater de rire les lecteurs les plus blasés.
Ce livre, dont le contenant est dessiné comme s’il devait être une boîte de sardines plus grande que nature, est digne des meilleurs dessins animés à l’ancienne de Disney ou des œuvres de Pixar si celles-ci étaient muettes. Un océan d’amour est facile à suivre pour les enfants, et les adultes qui les accompagnent dans cette lecture peuvent tout aussi bien se bidonner que réfléchir, autant aux enjeux de pollution qu’à la vie de couple à long terme.

9/10
Un océan d’amour
Auteur : Wiflrid Lupano (scénario) Gregory Panaccione (dessins)
Éditeur : Delcourt (2014)
223 pages