Par Dany Rousseau

Mathieu Sapin est connu depuis quelques années pour ses bédés documentaires d’immersion. En s’incrustant dans divers milieux pour de longues périodes, le bédéiste aime devenir l’observateur passif d’univers qui restent généralement fermés pour la majorité des gens. En 2010, c’était le monde du cinéma avec Feuille de chou ; journal d’un tournage et en 2011, ce fut le journalisme à « Libération » avec Journal d’un journal. En 2012, il s’attaque à la campagne présidentielle où tout au long de la lutte électorale, il se colle aux socialistes de François Hollande et réalise Journal d’une campagne. Témoin privilégié de la victoire, Sapin décida une année plus tard de proposer le projet du Château : une année dans les coulisse de l’Élysée à l’équipe de l’ancien candidat socialiste qui loge maintenant au 55, Faubourg Saint-Honoré. La tâche ne sera toutefois pas simple. Les réponses tarderont à venir. Au bout de plusieurs mois de démarches infructueuses, Sapin en a marre. Il tente le tout pour le tout et c’est au président lui-même qu’il envoie un texto. Contre toute attente, un mois plus tard François Hollande lui répond : « Venez me voir ».
De juillet 2013 à juin 2014, Mathieu Sapin est partout à l’Élysée. Il fait partie des meubles et assiste au quotidien de l’endroit. Le conseiller « presse et communication » Christian Gravel lui donne une totale liberté de mouvement. Une seule restriction : ne jamais publier les noms des gardes du corps présidentiel. Sapin n’est pourtant pas dupe, il sait que cette attitude d’ouverture est une stratégie de communication classique (à l’Élysée tout est communication), mais peu importe. Pour Sapin, ça reste une occasion d’être nos yeux et nos oreilles au cœur du pouvoir.

Le résultat? Les révélations ne sont pas aussi croustillantes qu’on l’aurait crû. En fait, l’Élysée en tant que tel n’est pas l’endroit le plus passionnant du monde. Les cuisines, l’organisation de diners officiels, la cave à vin, les conférences de presse, la sécurité, les déplacements, le bunker antinucléaire, le cirque médiatique… on s’en lasse à la longue.
Si ce n’était des rebondissements de l’année 2013-2014 (l’affaire Léonarda, la séparation du président, la nomination du gouvernement Valls, la popularité qui chute), les 131 pages verbeuses auraient franchement paru interminables. Ce Château est fait pour les lecteurs au parfum de l’actualité politique française et branchés sur l’Hexagone. Pour les autres, il y a souvent matière à s’ennuyer. Le problème fondamental de l’œuvre de Sapin est sa trop grande densité. Les cases y sont trop serrées, remplies à ras bord de textes. Une plus grande fluidité aurait été bénéfique pour accrocher le lecteur jusqu’à la fin.

Le plus intéressant à mon avis est la découverte de la personnalité de François Hollande. Malgré une prémisse qui devait laisser peu de place au président, la vedette étant « le Château », Hollande demeure constamment présent en filigrane. Nous en profitons donc pour découvrir un homme qui ressemble à notre voisin, sympa, très accessible et empathique. Une question survient immanquablement. : pourquoi cet aimable président est-il boudé par l’opinion publique? Sapin tente d’y répondre en discutant avec différents intervenants. Quelle en est mon interprétation de Nord américain? Que la France est une vieille société encore très hiérarchisée et que pour l’électeur français, le Président de la République doit posséder une aura royale, une inaccessibilité sacrée. Par conséquent, ce qui serait bien vu ici (au Québec), représente un handicap notable là-bas. Pour le quidam parisien, avignonnais ou strasbourgeois, Hollande n’a pas la classe présidentielle.

Malgré les défauts soulevés plus haut, Le Château n’est pas une mauvaise bédé. Le sérieux de l’exercice, la rigueur du propos et la masse d’information qui nous est rendue sont admirables. Le passionné d’actualité politique dégotera sûrement dans l’album ce que je n’y ai pas trouvé.
7/10
Le Château; une année dans les coulisses de l’Élysée
Auteur : Mathieu Sapin
Éditeur Dargaud (2015)
131 pages