par Dany Rousseau

Avec la fin de la campagne électorale au Canada qui donna lieu aux pires délires populistes sur le niqab, les réfugiés syriens ou la religion musulmane en général, il fait du bien de lire Confidences à Allah (Futuropolis). Le roman à succès écrit en 2008 par la jeune franco-marocaine Sophia Azzeddine est adapté en bande dessinée par la dessinatrice Marie Avril et le scénariste Eddy Simon.
À qui se confier à part à son dieu lorsque l’on est né dans « le trou du cul du monde » dans un bled perdu du Maghreb? C’est la question que se pose Jbara la jeune bergère, élevée pauvrement, ainée d’une fratrie de 3 sœurs et 4 frères et menée de façon tyrannique par un père fondamentalement con et une mère soumise. Endurant la misère, subissant l’ignorance et couchant avec un berger de la vallée voisine en échange de yogourts à la grenadine, Jbara entretient avec son Dieu un long monologue dans Confidences à Allah. Refusant de le culpabiliser pour ses malheurs, elle ne lui demande qu’une chose : qu’il se passe quelque chose dans sa vie. Ce moment arrivera enfin lorsqu’en gardant son troupeau, elle voit passer un autobus duquel tombe une valise Dior rose emplie de vêtements et d’accessoires de la parfaite jeune fille moderne. Jbara sera subjuguée par son contenu : jeans, string, maquillage, parfum et argent deviennent pour elles autant de clés vers le monde extérieur. Lorsqu’elle est chassée par sa famille alors qu’ils découvrent qu’elle est enceinte du berger, Jbara transforme ce déshonneur en occasion d’enfin changer son destin. Dès lors, elle refuse la soumission. Maintenant ses aspirations d’émancipation la dirigeront, même si sa route est sinueuse, parsemée d’embûches et souvent en absolu désaccord avec les percepts religieux conventionnel et même si pour survivre en ville la jeune bergère devra se prostituer pour manger et se loger. Si plus tard elle jouera l’escorte de luxe pour s’offrir davantage de choses, elle sait qu’Allah comprend. Elle se confie à lui comme à un ami qui la connaît intimement et dont elle ne craint pas le jugement.

« Allah, si j’étais né dans une famille bien, dans une ville bien, avec une éducation bien j’aurais forcément été une fille bien. Mais ce n’est pas comme ça que ça s’est passé au départ. Tu avoueras que je suis parti avec vachement plus d’emmerdes. » (page 34) Cette citation nous donne exactement le ton de ses longs monologues crûs, mais plein d’humour.
Le remarquable dessin réaliste d’Avril se retrouve en parfaite résonance avec le scénario bien adapté d’Eddy Simon. Les illustrations transmettent à merveille le ton de légèreté d’une histoire qui aurait pu être sombre à priori, mais dont la luminosité de l’héroïne pétillante et espiègle éclaire toute notre lecture.
Cette œuvre est une bouffée d’air frais. Elle représente une voix modérée et moderne de la religion musulmane. C’est un son de cloche que l’on entend peu, dans le brouhaha continuel des opinions farfelues hurlées sur les réseaux sociaux et dans certains médias traditionnels. L’histoire de Jbara nous rappelle qu’il existe une position entre les propos des enragés islamistes ceux des réactionnaires droitistes.

Cette bédé importante est aussi à la base d’une réflexion féministe. Jbara est une femme en révolte contre les règles établies, contre une culture macho et misogyne où l’haram (l’interdit) est partout. L’auteure se place en porte-à-faux contre les arguments religieux utilisés par les hommes pour garder la femme dans une position d’infériorité. Jbara dit à la fin : « Allah tu n’es que nuance et c’est pour ça que je t’aime. » (page 86) Voilà qui résume bien à mon avis cette bédé engagée et pertinente pour notre époque où tout doit être extrême et où tout est simplifié en 144 caractères.
8/10
Confidence à Allah
Auteurs : Eddy Simon (scénario adapté du roman de Sophia Azzeddine ) Marie Avril (dessins)
Éditeur : Futuropolis (2015)
86 pages