Par Dany Rousseau

En 2013, sortait en librairie le best-seller Tyler Cross (Dargaud) du scénariste Fabien Nury et du dessinateur Brüno. Si le succès commercial et critique de ce polar noir fut au rendez-vous, ici chez Bdmétrique nous avions reçu l’album avec une certaine froideur. Mathieu T parlait à l’époque d’un scénario mince, prévisible et débordant de clichés. J’étais alors en parfait accord avec mon collègue.
Alors que j’entamais la lecture du deuxième opus Tyler Cross – Angola sans grandes attentes, je changeai rapidement d’opinion sur le héros de Nury. Ce dernier propose un scénario plus dense et une intrigue moins simpliste sans être trop « prise de tête ». Après s’être fait avoir par son commanditaire sur un coup foireux, Tyler Cross se retrouve dans le mythique pénitencier d’Angola en Louisiane. La vie ne sera pas facile pour ce nouveau pensionnaire. Les travaux forcés, les nuits enchainées à un lit de camp inconfortable et la bouffe immangeable deviendront son lot quotidien.
Si ce n’était que des conditions de vie s’apparentant à un camp de concentration, Tyler Cross pourrait endurer la situation le temps de trouver un moyen de sortir. Mais tout se complique quand il apprend que sa tête est mise à prix par les Siciliens dirigeant la prison. Dès lors, son seul objectif sera de survivre et comme le dit la couverture imitant une affiche de film des années 60, « Si Tyler Cross sort une jour, ce ne sera pas pour bonne conduite. »

Tyler Cross – Angola est un bon polar noir et froid comme la lame d’un poignard. Les dialogues sont truculents et les personnages secondaires tous aussi timorés les uns que les autres. La violence exacerbée nous donne le même plaisir coupable que de regarder un Tarantino. Le dessin rond de Brüno, avec ses gueules incroyables et les couleurs de Laurence Croix, à la fois lumineuses et sombres selon les situations, forment une plus-value importante.
8.5/10
Tyler Cross – Angola
Auteurs : Fabien Nury (scénario) Brüno (dessins)
Éditeur : Dargaud (2015)
96 pages

Autre polar, autre contexte. Chicagoland (Delcourt) de Fabrice Colin et Sacha Goerg inspiré d’un roman du Britannique R.J Ellory nous transporte davantage dans le polar social. Un meurtre a été commis dans la cité de Chicago. Le corps de Caroline Shaw est retrouvé sur le sol de son appartement. La jeune enseignante a probablement été étranglée par un homme. En 1962, quelques années plus tard, alors que le meurtrier est sur le point d’être grillé sur la chaise électrique, Chicagoland raconte le point de vue de trois protagonistes jouant un rôle particulier dans ce fait divers. En premier lieu, il y a l’histoire de Myrianne, la sœur de Caroline, qui se rend à l’exécution de Lewis Woodroffe, le meurtrier. Myrianne, pleine de rage, se remémore le procès, ce qui nous permet de revivre les évènements. Suivent les récits de l’inspecteur qui mena l’enquête pour retrouver Woodroffe et celui du meurtrier qui parle de son existence difficile et explique sans justifier les raisons de ses actes.
Scénario intimiste et je dirais même sensible, Chicagoland nous donne tout ce qui nous plait dans un bon polar : une intrigue prenante, des pistes qui donnent l’impression que l’on va tout comprendre, mais qui vont nulle part et une conclusion que l’on n’a pas vue venir. N’ayant pas lu le roman, je ne peux apprécier la qualité de l’adaptation. Néanmoins, nous sentons Colin très à l’aise dans son découpage. Le tout est fluide et happe le lecteur. Le dessin sobre de Goerg complète à merveille le ton de confidence du récit qui donne la parole individuellement aux acteurs.
8/10
Chicagoland
Auteurs : Fabrice Colin (scénario) Sacha Goerg (dessins) D’après un texte de R.J Ellory
Éditeur : Delcourt/Mirage (2015)
141 pages

Quittons maintenant le polar pour s’envoler dans le ciel de France au cours de la guerre 14-18. Nungesser (Casterman) de Fred Bernard au scénario et Aseyn aux dessins raconte l’histoire romancée de l’As du ciel Charles Nungesser. Troisième au tableau des « as » français (43 victoires et 11 non homologués), la vie du petit bourgeois parisien disparu prématurément est une véritable saga. Parti à 15 ans pour l’Amérique du Sud où il y pratique plusieurs métiers et apprend à piloter voitures et avions, il revient en France juste avant la guerre. Alors qu’il servira brièvement dans la cavalerie, après un acte héroïque, il deviendra pilote de chasse. Blessé à plusieurs reprises, il retournera constamment dans le ciel refusant toute démobilisation. La folle épopée du héros de guerre tête-brûlée, trompe-la-mort et fantasque s’achèvera en 1927 alors qu’il disparaitra avec son avion L’oiseau blanc en tentant de traverser l’Atlantique deux semaines avant Charles Lindbergh.

Véritable hagiographie, le récit de Bernard reste un peu romancé. La narration est confiée à une femme se nommant Émilie qui n’a probablement jamais existé, mais qui joue le rôle ici de maîtresse et confidente de Nungesser. Cette bande dessinée au récit enlevant comme la vie du pilote qu’elle nous fait découvrir contient cependant certaines faiblesses et irritants. Si le dessin particulier de Aseyn en noir et blanc est chargé comme une gravure du XIXe siècle, l’impression pâlotte de certaines planches gâche le plaisir. Je ne sais pas si ce fut un choix artistique ou une erreur d’impression, mais plusieurs cases sont d’une fadeur presque fantomatique. Doutant que ce ne soit une erreur d’éditeur, je crains l’acte volontaire. Par conséquent, je me pose plusieurs questions. Que voulaient démontrer les auteurs? Donner une impression brumeuse? Tenter un effet poétique? Moi je n’y vois qu’un travail d’imprimeur bâclé qui aurait voulu économiser son encre. Autre point qui a rendu ma lecture difficile : la police de caractère minuscule des abondants surtextes de narration écrits en cursive m’a presque arraché les yeux. Dommage, car dans l’ensemble l’aventure de Nungesser est passionnante et j’aurais aimé sortir de ma lecture emballé plutôt qu’agacé.

6.5/10
Nungesser
Auteurs : Fred Bernard (scénario) Aseyn (dessins)
Éditeur : Casterman (2015)
151 pages