Du classique revisité à l’humour absurde du capitalisme

Publié par

Par Dany Rousseau

La Pastèque (2015) Grégoire/Rocheleau
La Pastèque (2015) Grégoire/Rocheleau

Pour la plupart des Montréalais, la Petite Patrie correspond à un quartier de la ville, mais pour les plus de 40 ans, cet arrondissement fait automatiquement référence au roman paru en 1972 et à la série télévisée, toutes deux écrites par Claude Jasmin. La Petite Patrie (La Pastèque) scénarisée par Normand Grégoire et illustrée par la talentueuse Julie Rocheleau est une adaptation en bédé de la chronique d’un quartier populaire à l’aube des années 40. La Petite Patrie est l’histoire de l’auteur à l’âge de huit ans découvrant le monde avec ses yeux d’enfants. La guerre qui vient d’éclater, les jeux dans la ruelle, l’omniprésence de la religion, l’amour et la mort seront tous des thèmes abordés.

La Petit Patrie est aussi un document quasi-historique, un instantané d’un moment précis de notre histoire : l’époque où les Québécois n’existaient pas. En lieu et place, nos grands-parents se définissaient plutôt comme Canadiens-français. C’est l’époque où tous ces Canadiens-français vivent en bon catholique, ont des familles nombreuses et sans être méchant, sont un peu repliées sur eux même. L’Italien de la rue Jean-Talon, le guenillou juif des ruelles et le Chinois de la buanderie sont vus comme des extra-terrestres par cette société blanche, francophone et tricotée serrée. C’est l’époque du voisinage qui s’entraide dans les malheurs, mais qui parfois jase à propos de la moralité douteuse de madame Chose de la rue Beaubien. C’est l’époque de la guerre où le Canadien-français craint la conscription, se rappelant le traumatisme collectif de 1917 et les soldats anglophones tirant sur la foule à Québec.

La Pastèque (2015) Grégoire/Rocheleau
La Pastèque (2015) Grégoire/Rocheleau

L’adaptation du scénariste et réalisateur Normand Grégoire est réussie. L’efficacité télévisuelle du découpage contribue à la fluidité du récit. L’enfance de Claude étant heureuse, on lit ses aventures le sourire aux lèvres et on rit de le voir bien embêté lorsque son père, un homme pieux qui espère voir son garçon devenir curé, lui offre un mini-autel au lieu des patins à roulettes souhaités. Les mauvais coups de la bande de Claude, les batailles rangées dans la ruelle, les parties de hockey interminables nous donnent l’impression d’écouter les souvenirs d’enfance d’un vieil oncle. Même si la mort survient chez les voisins, même si la guerre est toujours présente et l’avenir incertain, on sent la vie intense de la rue Saint-Denis au coin de Bélanger.

Le dessin magistral de Julie Rocheleau, l’une de nos meilleures illustratrices, contribue grandement à la qualité de cette bande dessinée. Ses dessins bichromes sont parfois caricaturaux, mais toujours empreints d’émotion. Le seul défaut de cet album est sa longueur. J’aurais aimé rester dans le Montréal de Jasmin encore cinquante ou soixante pages de plus.

Une belle surprise en cette fin d’automne et probablement une des meilleures bédés québécoises de 2015.

La Pastèque (2015) Grégoire/Rocheleau
La Pastèque (2015) Grégoire/Rocheleau

9/10

La Petite-Patrie

Auteurs : Normand Grégoire (scénario d’après Claude Jasmin) Julie Rocheleau (dessin)

Éditeur : La Pastèque (2015)

88 pages

 

Pow Pow (2015) Bossé
Pow Pow (2015) Bossé

S’il y a une chose que l’on oublie souvent dans la vie, outre d’arroser les plantes, est que Luc Bossé, le grand patron des éditions Pow pow, est en tout premier lieu un bédéiste. L’éditeur, qui fête ses cinq ans, profite de cette occasion pour faire paraître Comment faire de l’argent qui est en fait un faux nouveau livre, regroupant des œuvres réalisées entre 2008 et 2011 pour son fanzine Rapport annuel et sur son blogue BDdecul.com. Et l’auteur l’avoue candidement à un reporter scandalisé qui l’interroge dans la première histoire du livre : il fait paraitre ses fonds de tiroir pour « faire de l’argent ». Ce qui aurait pu être une plate compilation s’avère être un album savamment tricoté afin de faire ressortir un fil conducteur qui maintient l’ensemble de façon intelligible. Résultat, Comment faire de l’argent se lit avec plaisir. Le fait que ces bédés avaient été publiées dans la quasi-confidentialité donne une nouvelle vie au produit. Constitué de plusieurs petites histoires à l’humour grinçant, le bouquin met Bossé plusieurs fois en vedette avec une grande autodérision. On rigole de le voir se rendre à un tournoi de hockey sur table jusqu’au New Jersey et négocier avec sa blonde pour que sa belle-sœur, qu’ils sont venus voir à l’hôpital, lui rembourse le prix de son stationnement. Chaque histoire est entrecoupée de petits strips aux personnages minimalistes qui représentent soit des commentateurs sportifs soit des hommes d’affaires cherchant mille et un moyens de faire de plus en plus d’argents en profitant du système sous l’œil vengeur du justicier Ninja Pow pow. L’ironie du livre fait mouche en faisant une critique faussement naïve de grands thèmes comme la publicité, la société de consommation et le capitalisme sauvage. Une bédé sans prétention à l’humour absurde efficace.

8/10

Comment faire de l’argent

Auteur : Luc Bossé

Éditeur : Pow pow (2015)

212 pages

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