Par Dany Rousseau

J’ai écrit cette chronique le 1er décembre, à peine deux semaines après les attentats de Paris. Bouleversé par les évènements, je savais lorsque j’ai ouvert Si Dieu existe (Delcourt) de Joann Sfar que ce que j’allais y lire résonnerait avec les évènements actuels.
Sfar n’allait pas très bien en janvier 2015. Ébranlé émotivement après une séparation et la mort de son père. La boucherie de Charlie Hebdo le 7 janvier et l’attentat antisémite de l’Hyper Cacher deux jours plus tard achevèrent de le mettre dans un état mental proche du KO. Pour se retrouver, pour chercher la lumière après la mort de ses amis (il fit partie de l’équipe de Charlie au début des années 2000), Sfar fit alors ce qu’il a souvent fait tout au long de sa carrière prolifique de bédéiste : écrire et dessiner des carnets.
Rédigé entre la grande marche du 11 janvier et la fin février, Sfar a toujours trouvé le salut dans ce mode d’expression vivant et intime. S’il parle beaucoup de son besoin de retomber en amour ou de la perte de sa mère à l’âge de trois ans, le plus fascinant reste ses propos sur une France presque aussi perdue que lui. Agrégé en philosophie, ayant eu un grand père rabin même s’il se revendique athée et laïc, Sfar s’interroge sur son identité judaïque. Il s’inquiète de l’antisémitisme décomplexé qui grenouille en France et se confond avec un sentiment anti-Israël pour les raisons que l’on connaît. Lucidement, il n’hésite pas à dire que « La mission de la République française devrait consister à me permettre d’oublier mes origines et ma religion. » Son constat, en observant l’actualité, est que sa République chérie a échoué lamentablement sa mission.

Auteur brillant, Sfar nous partage ses réflexions tout aussi pertinentes sur l’islam radical qui vient de frapper l’intègre Charb, le doux Cabu, l’irrévérencieux Wolinski et le reste de la bande. Tout ça pour des dessins. Pour lui, Dieu est une idée et en démocratie on peut rire d’une idée. Il parle aussi des Algériens qui comprennent et compatissent avec la France, ayant subit la terreur du GIA dans les années 90. Sfar affirme alors qu’il faut donner la parole aux victimes historiques de ce terrorisme maquillé en religion. Du même coup, il accuse la France et ses médias qui, depuis 20 ans, déroulent le tapis rouge aux Tariq Ramadan de ce monde et rend la vie impossible aux musulmans sincères de France. Les considérations de cet ordre sont légion dans ces cahiers à la fois percutants et tendres. Si ses observations étaient pertinentes en janvier, elles sont criantes d’actualité en décembre. Que l’on aime ou non Sfar, il ne nous laisse jamais indifférents (voir aussi la critique de Mathieu T à ce sujet).

Si Dieu existe est un livre profondément positif. Les réflexions graves, les situations cocasses, les moments touchants et l’humour se succèdent de façons désordonnées comme le fil d’une pensée qui se construit sous nos yeux. Profondément humaniste, Sfar nous convainc qu’il y a de l’espoir et que nous traversons une tempête, mais qu’à la fin, les gentils vont gagner. Pour l’auteur, l’homme est bon et si Dieu existe, on ne sait pas à quoi il sert.
*Lien vers la très belle série de dessins publiée par Sfar lors des événements du 13 novembre.
8.5/10
Si Dieu existe : Les carnets de Joann Sfar
Auteur : Joann Sfar
Delcourt (2015)
221 pages