La Rédaction: L’équipe Bdmétrique:

1. La Favorite (Actes Sud) Matthias Lehmann:
Ce récit claustrophobique raconte l’histoire de Constance, « un petit garçon » élevé comme une petite fille par une grand-mère acariâtre, violente et comme si il était nécessaire de préciser, totalement névrosée. Isolée dans un manoir, recevant une éducation à la façon 1900 au cœur des années 70, Constance/Maxime voyant ses horizons limités fait preuve d’une imagination et d’une légèreté étonnante dans un tel contexte. Avec son thriller psychologique remarquable, Matthias Lehmann nous offre une œuvre dense dont les illustrations évoquent la « Belle Époque ». Les thèmes sur l’identité, l’enfance et la culture du non-dit sont abordés avec originalité et intelligence.

2. Junker (Cambourakis) Simon Spruyt :
Les Von Shlitt sont une famille de la noblesse prussienne en plein déclin. Le domaine familial est en décrépitude faute de moyen ; Herr Von Schlitt n’a plus les moyens que de garder une seule domestique, tant la pension de Frau Von Schlitt qui séjourne depuis des mois dans un sanatorium suisse coûte une fortune. Heureusement, comme tout Junker qui se respecte, les deux fils de la famille sont aspirant officier dans l’armée du Keiser et rêvent d’une carrière militaire dans la cavalerie. Cependant, Ludwig le cadet brisera la tradition en devenant un servant de mitrailleuse « Maxime », la merveille des merveilles. Junker du Belge Spruyt est un étrange roman graphique. Tout en subtilité, en racontant la vie de cette famille symbolisant l’image d’une certaine Europe qui disparaît dans les tranchés de 1914, le bédéiste nous immerge dans une fable humaniste et anti militariste. Avec ses illustrations en bleu et blanc, ses aquarelles délavées et ses personnages secondaires représentés à l’aide de simples visages de smiley, Junker est une bédé fort originale. Pour les lecteurs tenant à lire quelque chose de vraiment différent.

3. Le Rapport Brodeck (Dargaud) Manu Larcenet :
S’étant mérité un 10/10 dans notre appréciation de l’œuvre, Le Rapport Brodeck est un futur classique qui flirt avec le chef d’œuvre. Manu Larcenet est ici au sommet de son art avec son adaptation du roman de Philippe Claudel. Dans une région reculée de l’Alsace après la guerre, Brodeck se rend prendre du beurre au magasin général. Une fois rentré chez Shloss, il surprend les hommes du village qui viennent d’assassiner un homme, l’« anderer » ou l’autre en dialecte alsacien. Mi-savant, mi-artiste, cet étranger affable était de passage chez eux depuis quelque temps et soulevait la suspicion. Brodeck étant le seul à savoir écrire à peu près correctement, les hommes lui demanderont d’écrire un rapport sur ce qu’ils viennent de faire. Brodeck, surpris et effrayé, acceptera de raconter cette histoire sordide en leur nom. Toutefois, en parallèle, Brodeck décrira sa détention dans un camp de concentration et fera un portrait sans concessions de ses concitoyens. Le trait noir en clair obscur du dessin de Larcenet exprime toute la méchanceté et la mesquinerie de cette communauté rongée par la peur et l’ignorance. Une leçon sur l’ouverture d’esprit et la peur de l’inconnu.
4. Kersten tome 1 et 2 (Glénat) Perna et Bedouel:
Il y a les histoires d’espionnage à la James Bond, au scénario gros comme un timbre-poste, heureux mélange de pétarades et de pitounes, et il y a Kersten, historico-fiction très habilement construite, aux dialogues fins, pointilleux, ou chaque mot est pesé et aux dessins précis, crédibles, sans entourloupette esthétique. Kersten, c’est ce docteur suédois devenu médecin officiel d’Heinrich Himmler. Est-il le sauveur de milliers de vies, comme il le clâme ou simple valet du régime nazi ? Une œuvre historique classique certes, mais qui en dit long sur la complexité de la nature humaine.

5. Le voleur de livres (Futuropolis) Tota et Van Hove:
« Travailler, c’est pour les cons. » peut-on lire au début de l’album. Voilà, c’est parti pour une franche rigolade philosophique dans les méandres du Saint-Germain-des-Prés de l’après-guerre. Existentialistes, communistes, anarchistes et autres chroniqueurs de l’existence s’envoient des fions à qui mieux mieux alors que patauge au centre Daniel Brodin, minable poète, voleur merdique mais menteur de génie. Malgré une finale cohérente mais un peu tirée par les cheveux, rarement un livre n’a su susciter en moi le goût de relire mes Sartre et mes Vian.