Par Dany Rousseau

Beyrouth, années 60. Abdallah se réveille de bon matin. Flottant presque dans l’air tellement il se sent léger dans ses nouvelles chaussures italiennes, il se rend dans la vieille ville devant le cinéma Rivoli pour annoncer une merveilleuse nouvelle à son ami Victor. Nous suivons Abdallah marcher le long de cases déconstruites où nous découvrons un peu le Beyrouth de l’âge d’or, celle que l’on surnommait à l’époque la Suisse du Moyen-Orient tant sa prospérité, sa modernité et sa douceur de vivre étaient enviées. Arrivé au lieu de rendez-vous, Abdallah annonce à Victor ce qui le rend si heureux. Hoffman, le facteur de pianos viennois, veut le rencontrer au sujet de son piano oriental.
Abdallah est l’arrière grand-père de l’auteure Zeina Abirached. Dans Le piano oriental (Casterman), la bédéiste raconte l’histoire fascinante de cet homme passionné de musique, accordeur de piano et compositeur qui, durant 10 ans, tenta d’inventer un piano pouvant jouer le quart de ton caractéristique de la musique orientale. Personnage excentrique, Abdallah, inséparable de son tarbouche démodé, montera et démontera sans relâche son piano afin de trouver une solution à sa lubie. Avec pour contrainte de ne pas altérer l’apparence physique de l’instrument, au bout d’une décennie, il trouvera finalement le moyen de réaliser un piano pouvant jouer le demi-ton classique, mais qui, grâce à une simple manipulation de pédale, peut prendre le quart de ton essentiel pour l’orientalisation de l’instrument. Bref, Abdallah met au point un piano bilingue!
En parallèle de cette histoire, nous suivons le parcours de Zeina Abirached, qui quitte Beyrouth pour Paris à 23 ans. Elle nous raconte son passé et sa relation intime avec deux langues intimement liées à sa personnalité. Pour elle, le français et l’arabe se mélangent et ne font qu’une seule langue, SA langue. Le récit d’Abdallah est en résonance avec celui de son arrière-petite-fille. Le Piano oriental est une métaphore sur le mariage et l’échange entre deux civilisations qui ont bien besoin de ce genre de message en ce moment.

Le dessin noir et blanc de Zeina Abirached rappelle celui de David B, ce qui au début m’a un peu agacé. Cependant, nous oublions rapidement cette parenté et entrons tout entier dans le Beyrouth d’Abirached. Les cases déconstruites et les envolées graphiques contribuent à la poésie de ce récit touchant et positif. La forte impression que j’ai eue en refermant ce livre m’a rappelé comment la culture orientale méditerranéenne est belle et que notre présent nous le fait trop facilement oublier.
8/10
Le Piano oriental
Auteure : Zeina Abirached
Éditeur : Casterman (2015)
208 pages