Casterman (2015) Canales/Pellejero
Par Dany Rousseau:
Je dois m’en confesser chers lecteurs, je porte en moi un lourd péché. Même s’il alourdit ma conscience depuis longtemps — je dirais même depuis toujours — j’ai réussi jusqu’à maintenant à louvoyer et garder enfoui cet horrible secret. Aujourd’hui, je ne peux plus me défiler. Lorsque l’on m’a proposé de faire la recension du grand retour du personnage-monument de la bédé Corto Maltese, j’ai dû avouer que je n’avais jamais lu les aventures du héros d’Hugo Pratt. Honteux et repentant, j’ai pu alors m’attaquer avec un œil vierge à cette reprise réalisée par le duo ibérique Juan Diaz Canales (scénariste de Blacksad) et Ruben Pellejero (L’impertinence d’un été chez Dupuis).
Si l’action principale de Corto Maltese sous le soleil de minuit (Casterman) se déroule dans le Grand Nord canadien, l’aventure débute en 1915 alors que le marin maltais, de passage à San Francisco, est mandaté par son ami le célèbre Jack London, d’apporter une lettre d’amour à sa maîtresse à Dawson au Yukon. Corto devra ainsi descendre vers son objectif en passant par l’Arctique canadien tout en évitant l’Alaska où il y est persona non grata. Dans cette région sauvage, les péripéties seront au rendez-vous. Corto et ses compagnons croiseront des ours polaires déchainés, des Fenians vengeurs alliés à un chef inuit qui se prend pour Robespierre, des détachements de la gendarmerie royale, des villes boueuses où règne la loi du plus fort. À notre grande surprise, les auteurs espagnols sont bien documentés sur l’histoire de cette région. On y rencontre ainsi le célèbre explorateur arctique québécois Louis-Élzéar Bernier, on fait allusion à Louis Riel et une partie de l’intrigue tourne autour de la découverte des sables bitumineux.
J’ai apprécié en général l’album. Les codes graphiques de Pratt sont respectés scrupuleusement. Cependant, pour ce qui est de l’histoire, j’ai certaines réserves sur le rythme lent et empesé de l’action. Au final, j’ai l’impression que le tout fait un peu vieillot. J’ai retrouvé dans cet album, en fait, tout ce qui m’avait toujours tenu loin de Corto. Une espèce de poésie et de romantisme contemplatif qui ne me touche pas. Les admirateurs y trouveront sans doute leur compte. Mais en ce qui a trait aux néophytes, j’estime le tout plutôt aride. Si ce n’était pas Corto, cet album aurait-il cartonné en librairie? Est-ce un autre symptôme de la nostalgite aiguë qui touche nos cultures populaires partout en occident?
7/10
Corto Maltese – Sous le soleil de minuit
Auteurs : Juan Diaz Canales (scénario) Rubén Pellejero (dessins)
Éditeur : Casterman (2015)
82 pages

Parlant de nostalgie, la série Les beaux étés (Dargaud) de Zidrou et du dessinateur Jordi Lafebre en fait elle aussi son fond de commerce. Dans le premier tome, Cap au sud, on embarque en août 1973 avec la famille bruxelloise Faldérault à bord de leur Renault 4L en direction de l’Ardèche. Roulant sur les petites routes nationales afin d’éviter les péages autoroutiers, la famille composée de quatre filles et d’un garçon semble au comble du bonheur. À bord de la familiale, on chante et on trépigne d’arriver enfin à destination pour piquer la tente, se baigner, piqueniquer ou faire de la randonnée. Toutefois, on découvre rapidement qu’entre les parents Mado et Pierre, rien ne va plus. Ayant décidé de se séparer, ils tentent d’offrir une dernière fois des vacances familiales à leurs cinq enfants. Cet album est lumineux comme l’été. Les couleurs de Lafebre rendent ce récit enveloppant et réconfortant. Dans le froid mois de janvier, il nous fait rêver à nos prochaines vacances. Il n’y a rien d’extraordinaire du point de vue scénaristique dans cet album. Zidrou nous raconte juste la vie qui passe et nous rappelle que nous ne contrôlons pas ses aléas et que les vacances peuvent se terminer différemment que ce qu’on avait prévu. Cap au Sud reste aussi une mine de références générationnelles typiquement européennes. Même si le thème abordé est universel, le lecteur québécois moyen risque d’échapper quelques clins d’oeil. J’ai souvent pensé aux Paul de Rabagliati qui utilise abondamment le même genre de ressort nostalgique. Un nouveau titre est prévu prochainement, mais nous n’avons pas de date pour la sortie de La Calanque en 1969.
8/10
Les beaux étés : 1-Cap au Sud!
Auteurs : Zidrou (scénario) Jordi Lafebre (dessins)
Éditeurs : Dargaud (2015)
56 pages

Prébublié dans le mensuel de bédé numérique Professeur cyclope, Super Rainbow est un long délire signé Lisa Mandel. Mieux connue comme auteure de Nini Patalo (Glénat) et de HP (L’Association), Mandel nous offre avec Super Rainbow une comédie gaie grinçante dans laquelle l’auteure elle-même et sa copine Francisse deviennent super héroïne un peu malgré elles. Mandaté par le SSF (Service secret francophone) qui regroupe tous les pays utilisant la langue de Molière sauf la Suisse, le couple devra enfiler les combinaisons de spandex des Super Rainbow et faire l’amour pour obtenir les super pouvoirs associés à leur costume. Elles seront contraintes de vaincre Cumulonimbus, un nuage agressif qui veut détruire la terre.
Voilà, la table est mise pour vous résumer cette folie de 86 pages où l’humour absurde et pipi-caca est au rendez-vous. C’est ainsi que tout au long des dix histoires que nous offre cet album, le duo combattra : un caniche géant détruisant Paris, la Commissaire Vaylan qui pète des flammes et roule des pelles aux femmes afin de leur voler leur libido, des terroristes chauves qui font des attaques à la perruque piégée et un couple gai bien huilé qui désire voler les combinaisons des héroïnes. Lisa Mandel ne s’embête pas avec des dessins trop détaillés; elle va droit à l’objectif, soit le gag. Dans cette bédé bichrome, les couleurs n’explosent qu’une fois que les deux héroïnes ont baisé et qu’elles possèdent les pouvoirs leur permettant de protéger l’humanité. Même si j’ai ri à l’occasion lors de ma lecture, les aventures sont vite redondantes et on se lasse un peu de cet humour premier niveau. J’aime bien le trash en bédé (Winshluss !). Cependant, les grosses blagues de sexe me laissent froid. Au risque de passer pour un snob, je recherche un humour plus fin pour mes lectures.
6/10
Super Rainbow
Auteure : Lisa Mandel
Éditeur : Professeur Cyclope (2015)
86 pages

En fait d’humour intelligent, j’ai trouvé mon compte avec l’excellent Pico Bogue, l’original (Dargaud). Ce huitième album de la série imaginée par Dominique Roques et Alexis Dormal est un bijou de finesse. Pico, petit garçon de 10 ans vivant avec ses parents et sa sœur Ana, découvre avec perplexité le monde dans lequel il vit entre l’école, les copains, la maison ou le parc. Hybride entre Le Petit Nicolas, Mafalda et Peanuts, les aventures de Pico et sa bande est un condensé de philosophie, de poésie, d’interrogation sur le sens de la vie et de franche rigolade. Les jolis dessins à l’aquarelle de Dormal, tout en ayant l’air innocent, cachent bien l’humour vif et aiguisé des personnages de Roques. À découvrir!
8/10
Pico Bogue – L’original
Auteurs : Dominique Roques (scénario) Alexis Dormal (dessins)
Éditeur : Dargaud (2015)
48 pages