Par Dany Rousseau :

En jetant un coup d’œil à la couverture de Dérangés (La Pastèque) de Violaine Leroy, nous sommes pris d’un léger sentiment de claustrophobie. Son dessin noir et blanc représente les trois protagonistes dans une situation qui démontre toute leur solitude et leur détresse. L’illustratrice Violaine Leroy dans cette œuvre forte va à la rencontre des trois individus tourmentés.
Il y a tout d’abord le gardien de musée. Vivant seul et souffrant de TOC (trouble obsessif compulsif), lorsqu’il quitte son cocon tous les soirs pour son travail de nuit dans un musée d’art, chacune des choses doit être disposée d’une certaine façon dans un ordre rigoureux. Tout semble bien se passer dans sa vie routinière et rassurante jusqu’à ce qu’il rentre un matin et que tout est déplacé. Pris de panique, le gardien doit à tout prix ranger, quitte à perdre de précieuses heures de repos. Lorsque le soleil se couche à nouveau, le gardien repart au travail après une journée exténuante à s’assurer que tout est bien revenu à sa place. Le matin, alors qu’il rentre épuisé du musée, il découvre encore une fois son appartement sens dessus dessous. Après quelques jours de ce régime, le pauvre gardien est au bord de la crise de nerfs.
Deuxième protagoniste, Judith, la jeune femme insomniaque qui, toutes les nuits, tente de s’étourdir dans la fête et les concerts rock. Son esprit fatigué en viendra à souvent confondre le rêve et la réalité. Les visages de ses amis perdent leurs contours et prennent l’apparence d’animaux. À la suite de nombreuses amnésies et de perte de contrôle de son être, elle devient de plus en plus anxieuse et se sent glisser vers des zones qui la terrorisent.
Pour finir, il y a Nénad, tout juste retraité et possédé par une étrange obsession. Nénad doit créer. Peu importe le médium, il doit faire une œuvre artistique avec ce qui l’entoure et l’inspire. Il est devenu hypersensible au moindre détail qui peut devenir objet de beauté, que ce soit un sceau ou une ampoule électrique. Nénad, au grand désespoir de sa femme qui le quitte, vit seul dans sa maison transformée en atelier et en véritable foutoir. Sa nouvelle liberté lui permet d’errer dans la ville pour prendre tout en photo et s’inspirer. En suivant ces trois personnages troublés, nous devinons que leur destin se retrouvera lié au fil du scénario.

Si Dérangés est d’abord une réflexion sur l’art, c’est une œuvre puissamment chargée émotivement. Elle donne un visage sensible à la détresse psychologique comme je l’ai rarement vu en bédé. Leroy nous sort de notre zone de confort et nous remue; ses images nous reviennent en tête longtemps après la lecture. Ses dessins au crayon et à l’encre évoquent parfois l’inquiétant dadaïsme surréaliste de Max Ernst ou La tentation de Saint-Antoine de Jérôme Bosch. C’est tout dire. Si l’ensemble peut sembler désespéré et angoissant, il y a au contraire de l’espoir à la fin et on sent le clin d’œil bienveillant de l’auteur. Dérangés est à lire.
9/10
Dérangés
Auteure : Violaine Leroy
Éditeur : La Pastèque(2016)
307 pages