
par Mathieu T
Depuis des années, Philip va chercher un muffin à la pâtisserie du coin avant d’aller travailler. Un matin, en réponse à son traditionnel « à demain », la boulangère lui lance qu’elle ne sera plus là. Intrigué par cette phrase sibylline mais trop gêné pour lui demander ce que ça signifie, Philip retourne à son quotidien. Le lendemain, c’est le choc. La femme disparaît et son patron est retrouvé mort écrasé par une lourde étagère. Quelques années plus tard, Philip croise une femme qu’il croit être la boulangère. D’abord curieux, il devient carrément obsédé par la femme à la mystérieuse phrase et utilise son poste d’agent d’assurance pour savoir le fin mot de l’histoire au profit de sa santé mentale.
Situé dans les années 50 au Massachussetts, le récit de Watertown est un long fleuve tranquille dont l’eau se trouble de plus en plus à mesure que le lecteur approche de la vérité. Narrée au « je » et véritable thriller psychologique dans l’esprit de Raymond Chandler, la bédé met en scène un superbe antihéros, célibataire, sans imagination, timide, à la personnalité sans saveur. Le type parfait que l’on croise tous les jours et que l’on oublie aussitôt. Toutefois, l’intérêt de Philip pour la disparition de la boulangère et la mort de son patron lui donneront des ailes et camoufleront sa nature lâche. Götting réussi le tour de force de créer une montée vers l’obsession et la folie douce et subtile, très crédible et qui, en tournant les pages, fait croire au lecteur qu’elle pourrait l’atteindre un jour lui aussi.
Les cases de Götting, véritables peintures sur velours noir, effectuent admirablement bien le va-et-vient entre le héros (dès la première image, on a une impression de lassitude et de vie monotone), et le lecteur, grâce à un style très impressionniste (flou dans le dessin, prédominance des couleurs jaunes et bleues ternes). Le héros tente symboliquement de sortir des cases du livre, de rompre avec l’habitude et la platitude. Regardez la page couverture, tout est là : le complet drabe, la petite moustache démodée, la silhouette banale, le regard curieux mais mou.

J’aurais attribué une note plus élevée, mais la finale, au demeurant très logique, arrive trop à point, comme une grand casse-tête sans défi. Il manque une touche discordante pour donner curieusement un sens à cette quête inutile. À moins que ce soit moi qui refuse de me soumettre à la routine de Philip.
8,5/10
Watertown
Auteur : Götting
Éditeur : Casterman (2016)
90 pages