Par Dany Rousseau:

En 1972, dans une petite ville du Nord-Pas-de-Calais en France, une rumeur court le long des rangées de pupitres bien alignés de l’école communale. Le grand A, le plus important hypermarché de France, ouvrent ses portes! Dans cette région ouvrière, malgré l’excitation de la nouveauté, cet évènement fait craindre le pire pour le commerce local. Dans Le grand A (Futuropolis), Xavier Bétaucourt (scénario) et Jean-Luc Loyer (dessins) exécutent une enquête de fond sur le phénomène socio-économique des grandes surfaces telles qu’Auchan, Carrefour et Leclerc en Europe ou Walmart en Amérique du Nord. Des années 70 à nos jours, les auteurs brossent un tableau complet des causes et des conséquences de l’établissement d’un tel commerce dans une communauté.
Aucun aspect n’y est négligé. Des bouleversements du tissu commercial à la dévitalisation du centre-ville, les auteurs vont à la rencontre de tous les acteurs qui gravitent autour de cette réalité. Le directeur, le sous-traitant, le producteur, le client, la caissière, le chef de rayon expliquent tous en détail leur rôle dans cette véritable ville dans la ville située à un carrefour autoroutier. Outre les rencontres, le livre raconte en exergue l’histoire récente d’une région sinistrée qui voit sa population plonger dans le chômage avec la fin des charbonnages et des délocalisations d’usines. Du coup, pour ces nouveaux pauvres, le principe d’hypermarché trouvera sa pertinence en cassant les prix à la consommation et en attirant les acheteurs qui désertent les boulangeries, les boucheries et le marché hebdomadaire du centre. Ainsi l’hypermarché et son centre commercial se substituent sans vergogne aux espaces communs publics traditionnels comme le parvis de l’église, la mairie, le restaurant ou le café du coin. Le grand A deviendra par défaut le cœur de la sociabilité régionale.

Bien réalisé, Le grand A est une étude fouillée qui va en profondeur en couvrant son sujet tous azimuts. Inutile de vous dire que l’ambition est grande, peut-être même un peu trop grande. Non seulement Le grand A est raconté sous toutes ses coutures, mais en plus, les auteurs se permettent même de nous faire, par la bande, une petite histoire du commerce depuis l’antiquité, de nous raconter les péripéties de deux jeunes dont le destin est lié au magasin et nous tiennent en halène avec des intrigues politiques. Avec un tel programme, la confusion et la lourdeur sont immanquablement au rendez-vous. Même si j’ai apprécié le travail de Bétaucourt et Loyer sous différents aspects comme leur réflexion sur la surconsommation, le surendettement et les conditions de travail déplorables dans ce type de commerce, j’ai trouvé la lecture souvent fastidieuse. Je vous avouerai même que l’album m’est tombé des mains à quelques reprises. Le genre de bédé qui ne finit pas de finir et avec laquelle on a souvent la mauvaise impression que les auteurs veulent vider dans l’urgence un sac trop plein d’informations. Les auteurs auraient dû cibler davantage leur sujet, ce qui aurait permis un livre plus aéré et moins bourrage de crâne. « Qui trop embrasse mal étreint », comme disait ma grand mère.
7/10
Le Grand A Xavier Bétaucourt (scénario) et Jean-Luc Loyer (dessins)
Futuropolis (2016)
126 pages