Dany Rousseau :

Vous avez surement déjà vu cette photo floue. Sur une plage à moitié immergée, un soldat américain est à plat ventre. Son visage est marqué par l’hébétude et la peur. Il semble se demander quand l’une des milliers de balles de mitrailleuses lourdes qui ricochent tout autour de lui et pénètrent les chairs de ses compagnons lui sera destiné. En ce 6 juin 1944, Robert Capa, photo journaliste, est le seul de son espèce à débarquer avec la première vague d’assaut sur Omaha Beach. La peur au ventre, sentant ses mains trembler de façon incontrôlable, le photographe essaie de fixer l’enfer sur sa pellicule en ce petit matin normand.
Robert Capa fait maintenant l’objet d’une bédé publiée chez Casterman et réalisée par Florent Silloray. Capa; l’étoile filante nous fait découvrir ce personnage fascinant au talent extraordinaire. La bédé débute alors que le jeune Endre Friedmann, né à Budapest en 1913 et photographe fauché, occupe une chambre de bonne dans Montparnasse avec sa concubine Gerda Taro. Les photos de Friedmann ne trouvant pas preneur, le couple a l’idée de faire passer Endre pour un américain, afin de faciliter la vente des clichés. Avec ce stratagème, Friedmann alias Robert Capa acquiert une rapide notoriété qui l’amène à être correspondant pour des journaux de gauche parisiens en pleine guerre d’Espagne. Dès lors, il attrape la piqure du front et cherchera le restant de sa carrière à être présent sur tous les points chauds de la planète jusqu’à sa mort tragique en 1954. On retrouvera Capa armé de ses appareils en Chine durant le conflit sino-japonais, en Afrique du Nord et en Italie avec les troupes américaines, sur les plages de Normandie, dans Paris libéré et dans les ruines de Berlin.
Si Capa est vite associé à la couverture de guerre, il ne faut pas oublier son côté plus glamour. Joueur, buveur, noceur, Capa fréquentera Hemingway, Steinbeck, Picasso, Hitchcock et il sera même l’amant d’Ingrid Bergman. Pour de grands magazines, il photographiera les stars d’Hollywood dans leur habitat naturel. Ce Hongrois roule à cent à l’heure, carbure à l’adrénaline, au tabac et au scotch. Si les biographies en bédé pullulent depuis un an ou deux, celle de Capa sort du lot. Illustré en sépia, l’album est constitué d’une suite de cases légendées par l’auteur qui se met dans la peau de Capa et nous raconte sa vie à la première personne. Les dialogues entre les personnages étant presque exclus, le long monologue du photographe est bien rendu et l’effet dramatique est de taille lorsqu’il s’interrompt brutalement alors qu’il saute sur une mine durant la débâcle française en Indochine en août 1954. Si Silloray est un bon conteur et son travail est bien documenté, certaines erreurs factuelles m’ont toutefois irritée. La datation de plusieurs évènements s’étant déroulés en 1944 et datés en 1945 sont des coquilles qui ne font pas bonne impression. Les erreurs sont tellement grosses que je m’étonne qu’un réviseur l’ait raté. Cependant, une fois prévenu, voici une belle BD et un personnage à découvrir qui nous a permit de voir de visu une partie du XXe siècle à travers l’objectif de sa caméra.
8/10
Capa; l’étoile filante
Auteur : Florent Silloray
Éditeur : Casterman (2016)
82 pages

Comment vous parler du prochain album? J’irai au plus court sans tenter d’embellir ma prose; Les Poilus; t.1 Les poilus frisent le burn-out (Fluide glacial) de Guillaume Bouzart est d’une niaiserie consommée. Suite de petites historiettes d’une à six pages, Bouzart veut nous raconter avec fantaisie la vie quotidienne de la troupe à moitié enterrée dans la boue froide. L’humour de tranchée était peut-être drôle en 1930, mais en 2016 c’est un peu moins efficace. Les blagues dépassent difficilement le niveau secondaire ou encore celui que l’on nous servait dans le film des Charlots Les bidasses en folie. Quelques exemples. Un soldat maladroit tombe dans la fosse à merde et appelle son partenaire de garde qui ne répond pas, car il cause avec un ami rencontré par hasard. Un officier appelle le caporal Latouffe qui ne semble pas présent; à sa place, c’est le caporal Vagin qui répond (hé oui). Le problème de cette bédé qui se veut humoristique est simple; ce n’est pas drôle. Les gags sont interminables et les punchs absents ou prévisibles. Même si l’auteur a voulu joindre ici et là des histoires tendres et humaines dans ce florilège d’insipidités, ça ne colle pas. On dirait une tentative de mutation monstrueuse. On ne comprend pas sur quel registre on doit prendre ce livre. Au prix où se vendent les bédé, il faut absolument battre en retraite devant Les Poilus.
2/10
Les Poilus; t.1 Les poilus frisent le burn-out
Auteurs : Bouzart
Éditeur : Fluide glacial (2016)
48 pages