
par Mathieu T
L’un des grandes différences entre un roman et une bédé est la couverture du livre. Rarement, l’œil du lecteur va être attiré par la pochette du dernier Houellebecq alors que celle d’une bédé fait partie intégrante de l’œuvre. Certaines couvertures nous plongent directement dans le bain et en mettent plein la vue. C’est le cas pour L’île : au centre, une silhouette maigre, casque militaire, fusil au poing, visage caché, tout est en place pour nous hypnotiser, même le relief glacé de l’ombre de cet inquiétant individu. À l’intérieur, une carte vierge de l’île tapisse le carton d’ouverture alors que la même carte, annotée cette fois-ci, recouvre la fin. Ingénieux et intrigant.
L’histoire débute sur une récapitulation. L’île est en fait une large prison où les soldats du Nord déposent et assassinent en paix les déserteurs, prisonniers de guerre et autres partisans du Sud. Un jour, ceux-ci se révoltent et après une longue bataille acharnée, reprennent le contrôle de leur île. Repoussant au fil des mois les équipes de secours nordistes, les révoltés finissent par se faire oublier, les grandes sociétés trop occupées à faire la guerre ailleurs. 40 ans plus tard à peine troublée par le vent et la pluie, un étranger débarque sur l’île affublé de l’habit militaire nordiste. C’est la fin de l’Eden.

Au début de la lecture, il est difficile de croire à cette île oubliée de tous où habitent une centaine de personnes. Puis, peu à peu, Palloni construit habilement son monde, le rendant de plus en plus réel et crédible. L’arrivée de l’étranger déclenche bien sûr un souffle de méfiance parmi les insulaires, mais permet aussi, par des conversations détournées, de comprendre ce qui s’est passé à l’extérieur. Palloni crée un « ailleurs » fascinant sans jamais que personne n’y mette les pieds. L’auteur est patient dans la première moitié du livre et nous force à rester coller aux pages de l’album. Malheureusement, au fil des révélations qui amèneront de l’eau au moulin scénaristique, Palloni, au lieu de continuer à creuser calmement la mort psychologique de ses personnages, choisit la voix rapide de la violence comme résolution du récit. Peut-être est-ce plus crédible en effet, mais plus facile ; il aurait pu faire aussi mal en jouant avec les paroles et les mots. La mort, telle que présentée ici, semble avoir tournée les coins ronds. Mais peut-être aussi que la violence ambiante de notre monde me monte à la tête.
Si le monde imaginé par Palloni rappelle un peu le Sweet Tooth de Jeff Lemire, son dessin ressemble aussi à celui du Canadien avec ses visages un peu figés. L’ambiance est adroitement créée avec les teintes vertes des pages et surtout les magnifiques jeux d’ombres des feuilles des arbres sur les personnages.
L’île est à lire bien sûr, même si l’aboutissement du récit me laisse perplexe.
7,5/10
L’île
Auteur : Lorenzo Palloni
Éditeur : Sarbacane (2016)
124 pages