Par Dany Rousseau

En 2013, la sortie du premier tome de Melvile (Le Lombard) du bédéiste Romain Renard était complètement passée sous mon radar à nouveauté. C’est seulement lorsque les tomes 1 et 2 sont tombés sur ma table de travail il y a quelques semaines que j’ai pris toute la mesure et la force de cette œuvre. Melvile est une jolie bourgade imaginaire entourée de forêts, de lacs et de montagnes. Sans être situé dans un pays précis, Melvile sent bon le Québec. Romain Renard ne cache pas avoir été inspiré pour les décors de son univers par la région des Laurentides au nord de Montréal. D’ailleurs, quelques patronymes et expressions sont clairement ancrés dans le Québec profond. Cependant, Renard y va avec une telle subtilité qu’à moins de bien connaître la belle province, on peut imaginer que l’histoire se déroule n’importe où.
Melvile est une ville étrange où le surnaturel semble toujours prêt à s’immiscer dans le réel. Si dans le tome 1, L’histoire de Samuel Bauclair, les regrets prenaient la forme de fantômes, dans le tome 2, L’histoire de Saul Miller, le vieux prof retraité est inquiété par des chasseurs auxquels il a refusé le passage sur son chemin privé et qui semblent en savoir beaucoup trop sur son passé. Melvile est une bédé d’ambiance où les dessins de paysages sont époustouflants. À cheval entre le cliché photographique et le tableau, ces images nous happent carrément et nous entraînent au cœur de la forêt boréale. Si Melvile est aux premiers abords un havre pour qui cherche la paix et un paradis pour la chasse et la pêche, rien n’empêche d’y ressentir une tension constante. Sans que l’on puisse expliquer pourquoi, l’impression d’une catastrophe imminente semble toujours présente au détour d’un arbre. C’est le même type d’angoisse que le citadin peut ressentir au milieu de la nuit, blotti dans sa tente, dans une région éloignée, alors qu’il entend au loin les cris de locaux saoûls et le moteur d’un vieux pick-up qui se rapproche. Je n’ai pu m’empêcher tout au long de ma lecture de songer au genre d’émotion que suscite en moi l’excellente série française Les Revenants ou encore le film Délivrance de John Boorman.

Les deux chasseurs qui harcèlent Saul Miller sont juste assez inquiétants sans être agressifs. Faisant preuve d’obséquiosité feinte et d’intrusion insistante envers l’universitaire, nous devenons tout aussi inquiets que lui. La tension croit à mesure que l’on tourne les pages et que l’on sent que le héros perd pied. Le scénario de Romain Renard est magistral et très cinématographique. La montée du suspense est savamment mise en scène. La série Melvile représente pour moi un incroyable coup de cœur du moins pour les deux premiers tomes. Chaque chapitre raconte des histoires parallèles se déroulant au même moment. Melvile est aussi une expérience multimédia. Des applications et un site nous permettent entre autres choses d’étudier la carte de la région et d’écouter une trame sonore qui peut accompagner la lecture. Grandiose.
9.5/10