Par Dany Rousseau

Jean est un Français dans la vingtaine employé aux travaux publics pour la mairie d’une petite ville de province. Célibataire discret, Jean, après le travail et le verre au bistro du coin avec les collègues, rentre chez lui et plonge dans sa deuxième vie. Vous serez déçu d’apprendre que Jean ne cache pas de perversions glauques, ni n’exprime son côté sombre sur le darknet. Jean passe tout simplement ses soirées à écouter des séries, consommer de la musique, écouter des extraits de débats sur Youtube, suivre avidement l’actualité, fréquenter les réseaux sociaux, jouer à des jeux en ligne, regarder à l’occasion de la porno et rencontrer des gens sur les clavardages, juste pour parler et socialiser. Rien de mystérieux dans cette existence numérique que nous vivons presque tous en 2016.
La vraie vie (Futuropolis) de Thomas Cadène (scénario) et Grégory Mardon (dessin) est une réflexion sur la vie moderne. Les auteurs nous font comprendre, loin des préjugés, du sensationnalisme médiatique et des lieux communs sur la cyber dépendance, que la vie numérique de la majorité des gens n’est pas une vie parallèle, mais bien une facette de leur « vraie vie ». Aujourd’hui, nous ne pouvons plus diviser la vie réelle (In Real Life -IRL- comme disent les internautes branchés ) et la vie derrière un clavier.
Sur le net, Jean noue des amitiés sincères et franches avec des gens qu’il n’a jamais rencontrés. Ce qui ne l’empêche pas de tisser des liens dans la vraie vie et de vivre une histoire d’amour avec Carine, la fille des propriétaires d’un café. Le récit qui débute légèrement devient grave vers la fin et pousse son sujet plus loin en nous questionnant sur notre relation avec la mort dans un monde où nous ne laissons plus seulement des traces dans notre entourage physique, mais aussi cybernétique. Si j’ai quelques réserves sur les thèses de l’album et sa vision un peu idéalisée, cette bédé est bien menée grâce au récit sensible et touchant de Cadène et au dessin vif et coloré de Mardon. Sur plusieurs pleines pages, le dessinateur rend à merveille l’impression d’enchevêtrement des fenêtres des différentes applications se chevauchant sur nos écrans. Un bel exercice de style pour cet album qui nous fait réfléchir sur l’Homme moderne et son MacBook Air.
8.5/10
La vraie vie
Auteurs : Thomas Cadène (scénario) Thomas Cadène (dessins)
Éditeur : Futuropolis (2016)
132 pages

Violette est hôtesse de l’air sur un vol Air France vers Lyon. Préparant un diplôme de profileuse, elle est passionnée par cette discipline qui a fait son apparition après le 11 septembre 2001 dans les aéroports et dans les compagnies aériennes. En attendant le prochain service, elle s’amuse avec sa collègue à deviner la vie de ses passagers entassés dans l’avion. Tout va bien dans son petit jeu jusqu’à ce qu’elle tombe sur le visage confus d’un passager assis au dernier rang. Violette ne sait alors rien dire sur lui. Intriguée et piquée au vif, elle aborde l’homme et découvre rapidement que ce dernier est complètement amnésique. Emballée par le défi que représente la situation, l’aspirante profileuse décide d’aider le pauvre homme et d’en faire le sujet de sa thèse de psychologie. Rapidement on apprendra qu’il s’appelle Étienne Rambert et qu’il s’est réveillé dans l’avion et ne se souvient de rien. Avec l’aide de Violette, Étienne remontra le cours des évènements qui l’ont mené sur ce vol, tout en tentant de retrouver la mémoire et de découvrir qui il est.
Dans L’homme qui ne disait jamais non (Futuropolis) de Balez et Tronchet, nous constatons où peut nous entraîner le désir absolu d’être aimé en ne refusant rien, ou comme Violette l’affirme : « Les gens qui ne tiennent pas compte de leurs désirs le jour où ils se révoltent ça peut faire très mal. »
J’avoue qu’en débutant la lecture de cet album, je n’étais pas convaincu. La réaction trop stoïque d’Étienne qui comprend qu’il ne se souvient plus de rien, le personnage de l’envahissante Violette trop emballée par le phénomène de l’amnésie; l’intrigue tirée par les cheveux me tombait royalement sur les nerfs. Toutefois, petit à petit, on s’habitue au ton du scénario qui ne se prend pas au sérieux. Étienne et Violette deviennent vite attachants et nous tiennent en haleine tout au long de cette course folle pour retrouver qui est Étienne Rambert et qu’a-t-il fait pour perdre la mémoire. Le dessin de Tronchet se marie à merveille au scénario. L’histoire se terminant en Équateur, on sent que le dessinateur s’est fait plaisir en représentant ce pays où il a vécu quelques années. L’homme qui ne disait jamais non est au final un polar fantaisiste sympathique. Point négatif, la conclusion est un peu confuse, laissant derrière elle des questions sans réponses dans l’intrigue. Ça, je n’aime jamais.
7/10
L’homme qui ne disait jamais non
Auteurs : Olivier Balez (scénario) Tronchet (dessins)
Éditeur : Futuropolis (2016)
144 pages