
Par Mathieu T
Je suis toujours fasciné par ces longues séries qui, du jour au lendemain, tentent de devenir moderne ou « dans le coup ». Le lecteur se souviendra qu’Hergé, qui était loin d’être un avant-gardiste, avait affublé Tintin de jeans dans Les Picaros ou que Duchâteau a fait enquêter Ric Hochet à propos d’un Crime sur internet.
Dans ce Spirou tiré de la série « Le Spirou de », Feroumont radicalise encore plus les changements pour plonger les deux héros dans la post-modernité. Exemple ? L’utilisation à outrance de la messagerie texto par Fantasio, à la fois gag et navrante réalité. Le scénario démarre bien, en 1942, en pleine guerre, avec un étrange bijou qui rajeunit celui qui le regarde. De retour à aujourd’hui où tout le monde se met à la poursuite de ce curieux objet. Malheureusement, l’action se perd dans des platitudes sans nom dont le mariage de Fantasio avec la fille d’une grande éditrice de revue mode ou l’accouchement d’un des personnages. Le lecteur a même droit à un détour chez la mère de Spirou totalement artificiel et plaqué. Au lieu de continuer de flirter avec l’étrangeté, Feroumont tente de faire une plate critique du culte de la beauté.
Le dessin est rond et rigolo et il s’en dégage une certaine jeunesse d’esprit. Mais bon Dieu que les oreilles des personnages sont moches.
Au fond, ces chambardements veulent seulement nous indiquer qu’il y a un nouveau destinataire exclusif pour Spirou : le jeune. Le public adulte, qui avait tant aimé le Spirou d’Émile Bravo ne s’y retrouvera plus du tout. C’est dommage, parce que la portée intergénérationnelle de cette bédé en faisait son charme.
5/10
Fantasio se marie
Auteur : Benoît Feroumont
Éditeur : Dupuis (2016)
68 pages

Le phénomène Dr Who est assez intéressant à analyser. Série télévisée de science-fiction totalement ringarde (désolé aux milliers de fans de la première heure) issue de la BBC et diffusée depuis 1963, elle est morte dans les année 90. Elle a profité de la renaissance du genre super-héros dans les années 2000, pour revenir à la télévision en 2005. Depuis, elle a investi le cinéma et la bande dessinée.
Pour ceux qui ne connaissent par le concept, disons que le Docteur est un voyageur spatio-temporel qui se promène dans l’univers inconnu et tente d’aider son prochain. À chaque fois qu’il meurt, le Docteur se régénère en un nouveau lui-même différent (un autre acteur) mais conserve ses souvenirs antérieurs.
Ici, la bédé raconte les aventures du 11e Docteur et ça tire dans tous les sens : chien extra-terrestre qui mange les émotions négatives, planète paradisiaque en plastique, Robert Johnson et son pacte avec le diable, etc. Chaque histoire est courte (une quinzaine de page) et sans véritable lien entre elles sinon la vie d’Alice Obiefune, nouvelle amie du Docteur.
La bédé réussit à conserver en français l’humour british si particulier de la série mais aussi son esprit loufoque et plein de folie. La bonté du Dicteur à vouloir aider les démunis et sa naïveté sont aussi au rendez-vous. Le dessin de Fraser et Cook est honnête, mais manque parfois un peu de corps, comme si certaine case était molle et vite complétée.
Bédé réconfortante comme un thé chaud un après-midi gris, le pari de mettre en image papier la série télévisée est réussie.
7/10
Les nouvelles aventures du onzième docteur – Doctor Who tome 1
Auteurs : Al Ewing et Rob Williams (scénario) Simon Fraser et Boo Cook (dessins)
Éditeur : Akileos (2016)
128 pages

Quand j’étais tout petit, ma mère et ma grand-mère m’amenaient magasiner chez Zellers et pour que je me tienne tranquille, m’achetaient une bédé de la chouette collection 16/22 chez Dargaud. L’un des premiers albums à être tombé dans mes mains fut Time is Money de Fred et Alexis. J’ai dû lire ce truc incroyable au moins 100 fois.
Time is money c’est la création de deux génies de la bande dessinée moderne. Fred, le papa de Philémon, le roi de la déconstruction scénaristique, le moustachu fou. l’imaginaire débridé, le jeu de mot à deux ronds et Alexis, le crayon furieux, l’illustrateur de la folie (il a travaillé entre autres avec Gotilb sur Cinémastock), l’imaginateur de monde perdu, le pilier de Pilote, le maître du trait vif.
Time is money c’est la rencontre entre Timoléon, un vendeur itinérant, et le professeur Stanislas, un inventeur de génie. Les deux utiliseront une création formidable du professeur, une machine à voyager dans le temps, pour faire de l’argent. Dès la première aventure, où Timoléon est envoyé à Florence pour rencontrer un jeune Léonard de Vinci afin de lui acheter la Joconde à bas prix, le plan initial déraille.
Time is money c’est le trait précis d’Alexis et les gueules de ses personnages. Lui seul peut dessiner la frustration ou la folie de Timoléon dans une même case. Jouissif. C’est aussi les récits absolument abracadabrants de Fred où tous les personnages s’en donnent à cœur joie. Jubilatoire.
Merci à Dargaud d’avoir réédité dans son intégralité et en noir et blanc svp ce chef d’œuvre.
10/10
Time is Money
Auteurs : Fred (scénario) Alexis (dessins)
Éditeur : Dargaud (2016)
208 pages