Par Dany Rousseau :

Josie Shuller est une femme, une mère, une épouse modèle. Attachée aux conventions de son époque, elle entretient à merveille son bungalow de banlieu, prépare le meilleur rôti dominical et cultive des relations pleines de civilités avec ses voisins. En cette fabuleuse année 1962, JFK est à la Maison Blanche, les jeunes ont les cheveux courts, les Yankees de New York détiennent le championnat mondial et le plein-emploi règne.
Bref, l’Amérique blanche de la classe moyenne est encore sûr d’elle-même et conserve son insouciance. Toutefois, il ne faut pas se fier aux apparences. La belle et sexy Josie, que l’on dirait tout droit sortie d’une pub d’électroménager de l’époque, est en vérité une impitoyable tueuse à gage!
Même si nous avons l’impression que les prémisses de la mère de famille camouflant une double vie furent de nombreuse fois exploitées en fiction, les deux auteures de Lady Killer (Glénat comics) Jamie S. Rich et Joëlle Jones donnent une touche singulière à leur héroïne.
En effet, la belle ménagère pratique son travail d’appoint non pas pour l’aspect financier de la chose, mais bien plutôt pour le plaisir que lui procure l’exécution d’un contrat. N’utilisant que l’arme blanche, Josie possède un petit côté psychopathe qui ajoute une couleur « particulière » au personnage. Féministe, en plus d’exiger de son patron macho une conciliation travail-famille pour son corps d’emploi, elle réclame le droit de faire fi de la douceur féminine et de pouvoir tuer aussi brutalement et violemment qu’un homme.

Vous l’aurez deviné, le ton donné à Lady Killer par le duo d’auteures se veut un festival d’hémoglobine joyeusement transgressif où l’on sent toute l’influence de Tarantino. Nous sommes ni plus ni moins dans l’univers de Kill Bill à l’époque de Mad Men. Lorsque la bédé s’ouvre sur la belle Josie qui, sous couverture d’une dame Avon, remplit les termes d’un contrat à grand coup de couteaux de boucherie dans la carotide de madame Romanov, nous comprenons que toute cette violence exacerbée est tellement grossière que nous jouons avec un deuxième niveau de lecture. On s’amuse tout autant avec les codes graphiques, moraux et sociaux de l’époque des « goldens sixties » exagérément idéalisées. L’esthétisme et le glamour vintage de Josie évoquent sans s’y tromper les actrices de cinéma hollywoodien et les pin-up. Lors des scènes de bagarre, la dessinatrice semble nous faire des clins-d’œil suggestifs en nous dévoilant à tout coup une jupe relevée à mi-cuisse, un porte-jarretelles ou l’ourlet d’un bas de nylon afin de toujours ajouter une touche innocemment sexy à son héroïne au milieu d’un déferlement de violence. Un beau cas pour nos lecteurs freudiens.

Tout cet album pourrait sombrer facilement dans la caricaturale farce gore, mais heureusement il n’en n’est rien. Le scénario est solide, tout est fluide, bien rendu, drôle et l’histoire est tout simplement bonne. En refermant ce premier tome, on veut en savoir plus sur Josie, son passé, sa famille, sa haine des armes à feu. Lady Killer est une bédé divertissante qu’il ne faut pas prendre au pied de la lettre, malgré les giclés de sang projetées dans toute les directions. Pour public averti. Le deuxième tome est prévu pour 2017.
8/10
Lady Killer – t.1 À couteaux tirés
Auteurs : Joëlle Jones (scénario et dessins) Jamie S. Rich (scénario)
Éditeurs : Comics Glénat (2016)
144 pages