Dany Rousseau :

Après Bagdad, Mossoul est la deuxième ville en importance en Irak. Conquise à l’été 2014 par les troupes de Daech, les forces armées irakiennes ont entreprit depuis la fin du mois d’octobre une difficile reconquête de la ville afin d’en chasser les barbus du califat autoproclamé. Mossoul est aussi la ville natale de Brigitte Findakly, coloriste de nombreux albums bédés et épouse de Lewis Trondheim. N’ayant jamais vraiment vu la pertinence de raconter son histoire, son opinion changea brusquement lorsqu’elle apprit la conquête de sa ville par Daech. En voyant les images des djihadistes détruisant les lions ailés assyriens plusieurs fois millénaires du site archéologique de Nimroud, elle décida dans l’urgence de coucher sur papier ses souvenirs pour combattre l’obscurantisme. En mettant son mari à contribution comme coscénariste et illustrateur, Brigitte Findakly nous raconte dans Coquelicots d’Irak (L’Association/Pow pow) son enfance dans les années 60-70 dans un pays en plein bouleversement jusqu’à l’émigration de toute la famille en France en 1974.
Sur un ton qui se veut faussement naïf et enfantin, l’auteure raconte son quotidien de petite fille franco-iraquienne appartenant à une vielle famille chrétienne de Mossoul. Avec un père dentiste dans l’armée, la famille Findakly habite une belle villa et vit plutôt confortablement entourée d’une famille élargie. Malheureusement, au fil des coups d’états et à mesure que l’Irak devient un pays de plus en plus totalitaire, le père de Brigitte décide de fuir en refusant d’adhérer au parti Baasiste au pouvoir. Même si sa femme française hésite à émigrer, trop attachée à sa terre d’adoption sur laquelle elle vit depuis 23 ans, les Findakly se résolvent à déménager leurs pénates dans un petit appartement du 20ème arrondissement de Paris. Une fois hors d’atteinte de l’inquiétant régime de Saddam Hussein, Brigitte Findakly continue son récit en nous parlant de son adaptation à la France et en racontant le destin de sa famille demeurée au pays. À travers l’expérience de ses cousins, cousines, tantes et oncles, elle raconte le terrible destin de sa terre natale, la guerre Iran-Irak, la guerre de 1990, l’embargo, la guerre de 2003 et l’arrivée de Daech.

Coquelicots d’Irak ne suit pas une trame narrative linéaire. On fait ici et là des bonds dans le temps au gré de la pensée de l’auteure. Constitué de plusieurs saynètes, l’ouvrage décrit autant les petits que les grands évènements vus à travers les yeux de la fillette. Les travers des mœurs irakiennes nous sont livrés avec un délicieux humour; il est intéressant d’apprendre par exemple que le sport national irakien consiste à parler des autres dès que plus de trois personnes sont réunies. Brigitte Findakly explique en effet que lorsque les seuls films disponibles provenant d’Inde et d’Égypte sont complètement niais, lorsque la littérature se résume à quelques livres de propagandes dues à la censure et lorsque parler politique est devenu un sport dangereux, seule la petite médisance devient un sujet de conversation valable. En contrepartie, l’auteure raconte de façon claire et fluide les crises politiques qui tiraillent l’Irak entre le communisme et le panarabisme. Malgré les arrestations arbitraires et les exécutions sommaires, il est drôle de voir la petite Brigitte, n’ayant pas conscience de cette extrême violence qui perturbe son pays, croire dur comme fer que Paris est une ville beaucoup plus dangereuse que Mossoul. Le souvenir qu’elle a d’avoir dû se réfugier dans une bouche de métro pour éviter une manifestation étudiante dans le Quartier Latin en mai 68 en est pour elle une preuve probante.
Coquelicots d’Irak est beau livre qui nous accroche et nous informe sur l’Irak d’avant Saddam Hussein. Nous sommes surpris de la modernité de ce pays à l’époque des années 60. La ville de Mossoul, malgré ses racines orientales, est très occidentalisée. On ne peut oublier en lisant Coquelicots d’Irak d’autres bédés du même acabit concernant la même région. Cependant, malgré les excellents Persépolis de Satrapi et L’Arabe du futur de Satouf, en aucun moment nous avons l’impression de redite ou de déjà-vu. Le duo Findakly-Trondheim nous offre quelque chose de personnel, pertinent et dans un sens brûlant d’actualité.

Le dessin de Lewis Trondheim se marie parfaitement au récit. Délaissant les représentations zoomorphiques, il adopte une ligne claire simple et naïve pour illustrer les souvenirs d’une petite fille. Les couleurs sont vives et évoquent la lumière du moyen orient. Un petit quelques chose de poétique se détache autant du dessin que du scénario. Un bel album comme je les aime qui raconte une bonne histoire et qui nous en apprend d’avantage sur une région complexe.
8.5/10
Coquelicots d’Irak
Auteurs : Brigitte Findakly (scénario) Lewis Trondheim (scénario-dessins)
Éditeurs : L’Association/Pow pow
116 pages
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