Des photos et des croix (des lectures 2016)

Publié par

par Pedro Tambièn

Deux excellents romans graphiques qui vous feront réfléchir sur l’actualité… jusqu’aux prochains coups d’éclat de l’humanité.

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source : Weegee, éd. Sarbacane, 2016.

Arthur Fellig est un photographe sensationnaliste. Il se spécialise dans les photos de cadavres et de morts violentes qu’il revend à des quotidiens de la ville. Mais Weegee, ancien violoniste, rêve d’autre chose et a des visées plus artistiques. Il voudrait sortir un livre, organiser une exposition de ses photos dans une galerie d’art, faire partie de la haute société. Bref, « The American Dream » : la gloire, la célébrité et tutti quanti.

Fellig (ou Weegee) est alcoolique et fréquente des prostituées qu’il traite mal. Il est pris d’un peu de remords, mais seulement de façon épisodique. Ça fait du bien de lire ici une biographie réaliste dans un New York chaotique, violent, dangereux… et libre. Biographie mais surtout pas hagiographie.

La bédé, qui a gagné le Prix Bulles d’Encre 2016 au festival du Polar de Vienne, se termine avec la reproduction de quelques vrais clichés de Fellig dont le « making of », tantôt comique, tantôt dégoûtant, narré dans le roman graphique.

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source : Weegee, éd. Sarbacane, 2016.

La thématique rappelle celle d’un film récent, Nightcrawler, dans lequel Jake Gyllenhaal incarne un caméraman avide de carnages, d’accidents d’autos ou de fusillades, qu’il filme en direct pour revendre le tout à des stations de télévision. Certaines questions posées lors d’événements récents, comme lorsque le public a vu les photos prises lors de l’assassinat à Istanbul de l’ambassadeur Russe en 2016 ou encore la photo de l’enfant naufragé syrien dont le corps s’est retrouvé seul sur une plage en 2014, refont surface lors de notre lecture. Un photographe, vidéaste ou journaliste a-t-il le droit ou le devoir de documenter l’horreur? Peut-il en réarranger la composition après l’événement ?

Si la bédé porte à 100% sur l’Amérique, sa création est pourtant 100% belge. Ce roman graphique est scénarisé par Max de Radiguès, l’homme derrière la sublime Hobo Mom. On sent dans ses écrits son amour pour l’Amérique sale, libre et vieille école. Les dessins proviennent de Wauter Mannaert, un nouveau-venu (il a publié en 2013 El Mesias qui a l’air d’être passée sous le radar de beaucoup de chroniqueurs bédéistes : https://grandpapier.org/wauter-mannaert/el-mesias ). Mannaert possède un trait digne de Sfar, ne se gênant pas d’être hors-proportion lorsqu’il le faut et parfaitement juste au bon moment.

7,5/10

Weegee, serial photographer

Auteurs : Max de Radigues (scénario) Wauter Mannaert (dessins)

Éditeur : Sarbacane 2016

130 pages en noir et blanc, suivies de 9 pages de photographies

Maison d’édition : Sarbacane

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source : Le crépuscule des idiots, éd. Casterman, 2016.

Le Crépuscule des idiots est une autre bédé qui traite d’actualité. Sa thématique est transposée en fable de science-fiction et vient d’une prémisse intéressante : « Dans les années 1950 et 1960, dans le cadre de son projet Mercury, la NASA envoya des macaques rhésus dans l’espace. Certains ne furent jamais retrouvés ». (p.3)

Krassinsky, bédéiste français d’origine allemande, s’inspire de cette information et d’une photo d’un de ces macaques équipés pour aller dans l’espace et nous pond une fable fantastique.

Un macaque jamais retrouvé aurait atterri avec sa fusée au Japon. Lorsqu’il sort de celle-ci, il ressemble à un Pape pour les lecteurs humains et un Sur-Singe pour ses interlocuteurs qui le voient pour la première fois. Là-bas, « Rhésus » (c’est une fable, donc pas très subtile) devient très rapidement un prophète qui détiendrait la parole de « Diou » auprès d’un groupe de singes des neige du pays du soleil levant. Tout cela va chambouler les traditionnels jeux de pouvoir entre ces singes-là et les rendre encore plus fous et « suiveux » qu’ils ne l’étaient déjà avant.

Histoire sans détour et roman graphique délectable, c’est une véritable parodie des mouvements religieux. Toutes les religions y passent avec des clins d’œil magnifiques : « le peuple élu », « Gloire au prophète ! », « Débarrassez-vous de tous ceux qui disent que notre religion est violente ! », « Diou est partout et nulle part à la fois », « Ommmmmmm », « je viens de l’espace… »… Pas besoin de vous faire deviner de quelles religions / sectes la bédé se moque.

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source : Le crépuscule des idiots, éd. Casterman, 2016.

Dans ce titre, quel fantastique rappel au Crépuscule des idoles de Nietzche, lui qui écrivait que les plus grandes dépravations modernes étaient l’alcool et le christianisme. À votre avis, qu’écrirait-il sur notre monde en 2017 ?

8/10

Le crépuscule des idiots

Auteur : Krassinsky

Éditeur : Casterman (2016)

295 pages

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