Par Dany Rousseau :

Le projet Les Premiers aviateurs (Pow Pow) est né d’une conversation qu’Alexandre Fontaine-Rousseau et Francis Desharnais ont eue autour d’un hamburger A&W dans une halte routière de la 401 en direction de Toronto. L’idée de cet échange sur leurs techniques créatives respectives fut que Desharnais fournirait à Fontaine-Rousseau des séries de cases statiques sur lesquelles ce dernier élaborerait des dialogues directs et punchés. Le projet n’a pas tardé à aboutir et prit la forme d’une petite bédé hilarante consacrée aux pionniers de l’aviation. Présentant quelques figures emblématiques de la conquête du ciel comme Besnier, Sir Hiram Maxim ou les frères Wright, le duo imagine un paquet de situations et de dialogues loufoques.
La plaquette de 116 pages compte cinq petites histoires pour autant de héros du ciel. La première nous fait découvrir Besnier, un serrurier français qui essaie en 1678 une invention baptisée l’ornithoptère. Nous suivons avec intérêt les multiples tentatives et échecs de l’inventeur tout en appréciant ses réflexions philosophico-comiques sur ses crashs à répétitions et la persévérance. Une autre histoire raconte la journée du 4 février 1912 où le tailleur Franz Reichelt décide de se lancer en bas du premier étage de la tour Eiffel. Ayant fabriqué lui-même un costume de chauve-souris-parachute en caoutchouc, il espère planer un peu et atterrir en douceur sur le Champ de mars. Le dialogue des spectateurs qui attendent le saut de cet homme insensé, qui hésite avant de se précipiter dans le vide — avec raison car on connait la fin de l’histoire — nous fait franchement rire.
Toutefois, l’histoire la plus drôle à mon avis est celle qui raconte les essais de la machine volante de Sir Hiram Maxim. L’inventeur de ce véritable brique-à-braque composé de douze ailes superposées propulsées par deux moteurs s’élance à plusieurs reprises du haut d’une falaise où il s’écrase à tout coup sous les yeux de son assistant. Les échanges avec ce dernier dans un dialecte anachronique type « Douche Bag » m’ont fait rire à gorge déployée, ce qui est rare avec une bédé vous me le concèderez. Hiram affirme sans ambages à son acolyte à coup de « Big », de « Bro » et de « l’Gros » qu’il ne cherche pas à voler pour l’avancement humain, mais pour attraper le plus de minettes possibles. «Tu penses-tu vraiment que je veux voler pour genre… je sais pas…. Faire avancer la civilisation humaine ou d’quoi là? » (p.34). À lire les deux compères, on se croit véritablement dans le vestiaire d’un gymnase de banlieue.

Dans sa forme et son esprit, on pense souvent à Tom Gauld en lisant Les premiers aviateurs. L’écriture de cette bédé représente un petit bijou d’humour et d’intelligence. Cependant, il ne faut pas être dupe, car derrière ce récit et ces dessins minimalistes, on devine une réflexion brillante sur les motivations de l’Homme pour s’arracher au banal de son existence. Même si les inventeurs que l’on nous présente se dirigent la plupart du temps vers un échec humiliant, les auteurs veulent rendre hommage à tous ces marginaux qui nous ont amenés un peu plus haut avec leur douce folie. Sans se prendre au sérieux, Desharnais et Fontaine-Rousseau nous offrent un joyeux moment de lecture que l’on déguste avidement.
8.5/10
Les premiers aviateurs
Auteurs : Alexandre Fontaine-Rousseau et Francis Desharnais
Éditeur : Pow Pow (2016)
116 pages