La jeunesse de Staline ; 1. Sosso

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Par Dany Rousseau :

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Les Arènes BD (2016) Delalande/Prolongeau/Liberge

L’histoire de la Russie et plus particulièrement celle de l’URSS m’a toujours passionné. Une partie importante de ma bibliothèque y est même consacrée. J’ai dévoré il y a quelques années Jeune Staline (Calman-Levy) de Simon Sebag Montefiore et l’été dernier, durant mes vacances, je me suis tapé avec plaisir Staline : La cour du tsar rouge (Tempus) du même auteur. Vous pouvez vous permettre de juger du goût douteux de mes lectures de plage, mais je dois vous affirmer que lorsque l’on me parle de Iossif Vissarionovitch Djougachvili dit Staline, je suis complètement dans mon élément. C’est pourquoi quand j’ai appris qu’une bédé porterait sur la jeunesse de ce dernier, j’ai été tout de suite interpelé, mais en même temps agacé. Pour quelle raison ? Je vous confierai que dernièrement je n’ai pas été impressionné par les bédés historiques qu’il m’a été donné de lire. C’est ainsi que je me suis donc attaqué à La jeunesse de Staline ; t.1 Sosso (Les Arènes BD) avec une certaine circonspection. Heureusement, j’ai été rassuré en constatant que les deux scénaristes Arnaud Delalande et Hubert Prolongeau avaient fait leurs devoirs. En effet, dès la première page, les auteurs recensent toutes les sources et documents qui leur ont été nécessaires pour rédiger ce premier tome biographique. Montefiore y apparait évidemment, mais aussi plusieurs historiens sérieux ayant contribué dans les dernières années à l’historiographie du sujet.

L’album débute sur les chapeaux de roues. En 13 planches, on nous fait vivre de façon spectaculaire à l’aide du dessin époustouflant de Liberge, le cambriolage de la banque de Tbilissi (Tiflis à l’époque), la capitale géorgienne, en juin 1907. Ce coup de main qui devait se limiter à un simple vol pour financer le parti bolchevique, dérapera rapidement et se transformera en boucherie, laissant sur le pavé quarante morts et cinquante blessés. Staline, ayant probablement participé à cet évènement avec une trentaine de ses camarades, niera cependant toujours y avoir pris part.

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Les Arènes BD (2016) Delalande/Prolongeau/Liberge

Après ce déferlement de violence, les auteurs nous ramènent à Moscou en 1931 où ils imaginent Staline errant dans le Kremlin durant une nuit d’insomnie. Anxieux, tirant nerveusement sur sa bouffarde, il se sent traqué par ses ennemis. Pour cette raison, il décidera d’interpeler au hasard un dactylo pour lui dicter dans l’urgence ses souvenirs de jeunesse, afin de démentir les rumeurs que laissent courir ses adversaires sur son passé. Ainsi, il montrera au peuple la sincérité de son parcours et pourra s’imposer comme exemple de vertus révolutionnaire aux Soviétiques de toutes les Républiques socialistes.

Né d’une mère paysanne nommée Ekaterina et d’un père cordonnier surnommé Besso, Staline se vante d’être d’origines prolétariennes pur jus. Toutefois, l’histoire de la parfaite famille géorgienne d’essence populaire se complique lorsque Besso se met à boire plus que de raison après la naissance de Iossif. Le foyer familiale deviendra vite un enfer. Besso perdra son petit atelier et se retrouvera à travailler en usine. Iossif — que tout le monde appelle Sosso — et sa mère Ekaterina seront humiliés et battus quotidiennement par ce père tyrannique, alcoolique et à moitié fou. Comme si ce n’était pas assez, Besso refuse que Sosso soit éduqué, il sera cordonnier comme lui ! Ne voulant pas de cet avenir pour son fils unique, Ekaterina fuira le foyer familial pour se réfugier chez un oncle. Il est étrange de constater que sans l’ambition de sa mère, Iossif Djougachvili aurait peut-être terminé sa vie anonymement dans une manufacture de chaussure de Tbilissi. Par conséquent, des millions d’âmes auraient été épargnés et personne ne se souviendrait du fils du cordonnier alcoolique.

Élève brillant, poète et lecteur avide, Sosso est toutefois teigneux et manipulateur, véritable petit caïd de cours d’école. Alors qu’il rentre au séminaire, il perd la foi et fait son éducation politique en compagnie de camarades avec qui il entreprend la lutte pour l’arrivée du « Grand soir ». Abandonnant le sacerdoce, vivant dans la clandestinité qu’exige sa nouvelle occupation de révolutionnaire professionnel, talonné par l’Okhrana, la police politique du tsar, l’avenir de Sosso est plus qu’incertain. À la fin de ce dernier volume, il se retrouve arrêté et déporté en Sibérie.

Le dessin efficace et ultra réaliste d’Éric Liberge exprime une grande austérité, jouant intelligemment avec les clairs-obscurs. L’artiste manie aussi de façon inspirée les surimpressions qui révèlent un deuxième niveau dans le discours. Les teintes sombres utilisées par Liberge sont bien entendu quasi essentielles dans les circonstances.

N’étant pas un amateur du genre biographique en bédé, j’ai de nombreuses fois disserté sur le sujet. Ce que je reproche à ce mode d’expression en particulier est le choix trop fréquent, d’auteurs sans imagination, de raconter une vie en s’appuyant sur une narration linéaire. Ce qui donne au bout du compte, sauf exception, un récit statique, sans âme, consistant en un défilé de tableaux, maintenus ensemble par des liens plus ou moins pertinents.

Cependant, pour le cas de la Jeunesse de Staline, je dois avouer que le procédé classique sourit aux auteurs. Certes, sans s’extraire complètement des défauts du genre, l’album nous absorbe et nous transporte durant 71 pages. La Jeunesse de Staline constitue un travail rigoureux, intéressant et très bien illustré. À lire pour découvrir la fabrication d’un monstre complexe et rencontrer Sosso, à la fois intellectuel, poète, révolutionnaire et gangster.

7.5/10

La jeunesse de Staline ; 1. Sosso

Auteurs : Arnaud Delalande et Hubert Prolongeau (scénario) Érice Liberge (dessins)

Éditeur : Les Arènes BD (2017)

71 pages

 

 

 

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