Nuit noire sur Brest

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Par Dany Rousseau :

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29 août 1937. Le brouillard est à couper au couteau dans le port de Brest. L’équipage d’un remorqueur sillonnant le secteur aperçoit, ahuri, un sous-marin faire surface. Alors que le kiosque du navire s’ouvre, c’est la surprise : l’officier qui s’en extirpe interpelle le remorqueur en espagnol ! Nuit noire sur Brest (Futuropolis) rapporte une page d’Histoire singulière de la guerre d’Espagne (1936-1939) s’étant déroulée au cœur de la Bretagne. La bédé des scénaristes Bertrand Galic et Kris est une brillante adaptation du livre Nuit franquiste sur Brest de Patrick Gourlay et raconte l’histoire vraie du submersible C-2, commandé par un équipage républicain, ayant fui son port d’attache sous la menace d’une avancée franquiste.

Lorsqu’au petit matin la nouvelle de l’arrivée de ces visiteurs incongrus s’ébruite dans la ville, le commandant Ferrando, 29 ans, interpelle les autorités locales afin d’obtenir une assistance pour réparer son navire et ainsi pouvoir reprendre la mer. Cette demande qui pourrait s’avérer simple dans un autre contexte est toutefois hautement explosive en ces temps tourmentés. En effet, la France est officiellement neutre dans le conflit fratricide qui meurtri l’Espagne et ne peut apporter son soutien à un camps en particulier. Par conséquent, le maire et le préfet ne peuvent que refuser l’aide demandée par l’officier républicain. Le sous-marin restera donc amarré au port, victime d’une étrange situation diplomatique aux contours flous.

À partir de cet instant, la présence inusitée du C-2 provoquera une lutte de pouvoir larvée entre les deux camps ibériques. D’un côté, les forces franquistes enverront en France l’inquiétant officier des services de renseignement nationalistes, le commandant Troncos, et son bras droit, le capitaine Ibanez. Les deux hommes, débarqués incognito à Brest, auront pour mission de mettre sur pied un commando ultra-secret qui devra récupérer le sous-marin. Pour faciliter ce coup de force risqué, Troncos peut faire confiance à une poignée de supporteurs brestois qui ne cachent pas leurs allégeances d’extrême-droites dans les salons bourgeois.

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Futuropolis (2016) Cuviller/Kris/Galic

À l’autre bout du spectre, on retrouve les camarades marins du C-2 qui peuvent compter sur le soutien de tous les militants anarchistes et communistes locaux. Qu’ils soient débardeurs, cheminots ou ouvriers, cette force prolétarienne est prête à en découdre avec tout fasciste qui osera s’approcher du sous-marin. Au-dessus de cette marmite qui commence à bouillir dangereusement survole un étrange personnage connu sous le nom de code 10-X. Errant dans la ville, tirant des renseignements à l’un et l’autre, l’homme mystérieux nous servira de narrateur en devenant notre guide dans ce nid de vipères. Au-delà de la guerre civile espagnole qui s’invite chez les Bretons, c’est toute la fracture de la société française de l’époque qui est mise en évidence. En 1937, le gouvernement du Front populaire qui avait donné tant d’espoir est en perte de vitesse. Pendant que la gauche se déchire, les membres de groupes comme la Cagoule ou l’Action française sont de plus en plus actifs et rêvent d’un Franco ou d’un Mussolini français. Nous sentons que rien ne va plus et que chaque faction attend 1939 et la débâcle de 1940 pour régler ses comptes.

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Futuropolis (2016) Cuviller/Kris/Galic

Le scénario du talentueux duo Galic et Kris est d’une rare densité pour une bédé. Nuit noire sur Brest est un mélange des genres efficaces entre le récit historique, le roman d’espionnage et le polar qui doit être lu avec attention. Les détails sont nombreux et tous les éléments de l’intrigue sont importants pour garder son intelligibilité. Le suspense bien tissé permet de faire de ces événements oubliés une histoire passionnante et menée rondement par les auteurs. Les illustrations de Damien Cuvillier complètent à merveille le récit. Son dessin réaliste constitue un ajout émotionnel particulier dans la représentation du Brest d’avant-guerre qui fut anéanti sous les bombes alliées en 1944. L’apport de la postface écrite par Patrick Gourlay à la fin de l’album est une addition essentielle pour approfondir cette histoire méconnue et éclairer cette nuit noire de 1937.

8/10

Nuit noire sur Brest

Auteurs : Bertrand Galic, Kris (scénario) Damien Cuvillier (dessin)

Éditeur : Futuropolis (2016)

80 pages

 

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