
par Mathieu T
Vous connaissez certainement le principe du droit d’auteur. Grosso modo, une œuvre devient libre de droit X nombre d’années après la mort du créateur. Au Canada et au Japon, c’est 50 ans. Ainsi, les œuvres d’Arthur Conan Doyle (mort en 1930) et d’Howard Philipps Lovecraft (mort en 1937) se font allègrement piller depuis quelques années. Je ne compte plus les cochonneries Cthulhu sur le marché et je n’ai vraiment pas hâte à la libération des bouquins de Tolkien en 2043.
Malheureusement, le manga n’échappe pas à cette mode et qui dit mieux que Sherlock Holmes, un personnage superbe, pour rester au goût du jour. J’en arrive donc à mon sujet d’aujourd’hui, Sherlock * Une étude en rose, une adaptation manga de l’adaptation télé de la série originale. Admettez que le puriste en vous frétille d’en découdre.
Rappelons rapidement que la série télé britannique propose un Sherlock moderne et relativement sociopathe dans le Londres d’aujourd’hui et un Dr Watson tout fraîs revenu de la guerre en Afghanistan. Une étude en rose, basée sur le récit Une étude en rouge, se divise en deux pôles : l’un, la rencontre de nos deux héros et leur installation au 221b Baker Street et l’autre, l’enquête de Sherlock sur quatre morts qui, vous vous en doutez bien, n’ont ne sont pas ce qu’ils devraient être. Dans Sherlock, le petit crime n’est jamais très loin du grand complot.
Sans tergiverser, le manga est identique à la série télé. Jay, l’auteur, a manifestement eu le mandat de reproduire exactement les personnages et le scénario du récit sans rien laisser de côté ni faire d’ajout. Le lecteur a un calque sans fioriture et rassurant dans les mains, mais aussi un livre décevant parce qu’il n’y retrouve rien de plus que le produit télévisuel. Disons simplement que si le manga est forcément moins fluide et dynamique que son homonyme, il reste agréable à lire.
Pourquoi alors un tel bouquin sur le marché ? Certes, l’emballage est attrayant (grand format et pochette couverture avec très beau titre en argent) et Sherlock Holmes vend bien (ce tome 1 est 12e sur la liste des meilleurs vendeurs manga en France pour février 2017), mais qui veut-il rejoindre ? Les ados qui refusent de se taper une heure de bonne télévision ? Les collectionneurs de l’univers Holmes ? Les fans de Benedict Cumberbatch?
Voilà un mystère de plus à résoudre…
Sherlock – Une étude en rose
Auteur : Jay
Éditeur : Kurokawa (2017)
Série en français : un tome publié (en cours)

Peu de mangas ont eu un impact sur moi comme le Blame ! de Tsutomu Nihei. Son époustouflante construction graphique et son impressionnant scénario organique ont ouvert les portes de mon esprit. Il s’agit d’une oeuvre phare qui permet au lecteur de voir le manga autrement, de le concevoir non pas comme un produit industriel de qualité comme Naruto ou une habile construction intellectuelle comme Monster, mais comme une création autonome, monstrueuse, qui vit hors des courants et des normes. Peut-être de Nihei a placé la barre trop haute, mais rare sont ceux qui ont osé suivre son chemin. C’est alors qu’est arrivé sur ma table de chevet L’enfant et le maudit.
Dans un univers vaguement médiéval, le monde est divisé en deux : l’Extérieur, où vivent des créatures monstrueuses et l’Intérieur, où se cachent les êtres humains cherchant à se protéger des « autres ». Dans une petite maison de campagne de l’Intérieur vit un étrange duo : une maligne petite fille qui attend sa tante et un monstre appelé « professeur » qui veille sur elle. Mais il ne peut pas la toucher car elle se transformerait à son tour en horreur. C’est la grande malédiction qui frappe ce monde.
Il se dégage de ce manga une énorme tristesse, une amertume qui laisse songeur bien longtemps après avoir refermé les pages du livre. L’histoire tient en une phrase, mais la relation entre le protecteur monstrueux et la douce protégée, construite lentement au fil des pages, est tendre, profonde et tragique. Le dessin extraordinaire de Nagabe, que je ne connaissais pas, ne fait qu’accentuer cette impression de délicate fin du monde. Alternant entre les zones claires et sombres, utilisant un trait fin et parfois inachevé, limitant certaines cases à des gravures de la réalité, Nagabe enveloppe son récit d’un écrin troublant et fragile.
Peut-on refaire du Nihei ? Non et il ne faut pas. Mais j’ai retrouvé dans L’enfant et le maudit le même plaisir de regarder chaque dessin, de s’y plonger et de se laisser porter par ce déchirant conte magique.
L’enfant et le maudit 1
Auteur : Nagabe
Éditeur : Komikku (2017)
Série en français : un tome publié (en cours)