Par Dany Rousseau :

L’expression « collaboration horizontale » n’est sûrement pas la plus glorieuse de l’histoire de la libération. Sous ce vocable méprisant, on visait alors toutes les femmes françaises ayant eu des relations sexuelles avec l’occupant allemand. Plusieurs d’entre elles devront d’ailleurs payer cher leur « crime » sitôt leurs amants emportés par la débâcle allemande. En effet, dans plusieurs communes de France, des groupes d’hommes débusqueront « les pécheresses » afin de les humilier publiquement, d’arracher leurs vêtements et de leur raser la tête. Les foules assoiffées de vengeance se délecteront lâchement de ces spectacles pathétiques plusieurs semaines après la libération. Collaboration horizontale (Delcourt/Mirage) de l’auteure Navie et de la dessinatrice Carole Maurel, nous raconte l’une de ces histoires d’amour interdites, mais passionnées entre Rose et Mark.
Rose est infirmière et vit dans un immeuble parisien du 14e arrondissement. Elle attend avec son fils Lucien le retour de son mari Raymond, prisonnier de guerre en Allemagne depuis 1940. En 1942, alors qu’elle est au chevet d’Anaël, le fils malade de Sarah sa voisine juive, on cogne à la porte. La panique s’empare de Sarah lorsqu’elle découvre à travers l’œilleton de sa porte que se tient sur le palier un officier allemand. Pour protéger son amie, Rose ira répondre à sa place et tombera face à face avec Mark, un officier de l’Abwehr, le service de renseignement de la Wehrmacht, qui est venu dans l’immeuble du Passage de la bonne Graine pour confirmer les affirmations d’une lettre de dénonciation qui signale la présence d’une famille juive non enregistrée. Dès que Rose et Mark s’aperçoivent, c’est le coup de fondre. À partir de cet instant, ils partageront un amour impossible et secret où le danger ne sera jamais loin. Personne ne doit être au courant de leur liaison et surtout pas Léon, le meilleur ami de Raymond à qui il a promis de prendre soin de Rose durant son internement.
À travers cette histoire d’amour interdit, c’est aussi toute la vie des occupants de l’immeuble que l’on découvre et en particulier le quotidien des femmes qui l’habitent. La galerie étoffée de personnages féminins permet aux auteures d’aborder de nombreux thèmes sensibles au temps de l’occupation. Outre le rationnement et la débrouille, ce sont toutes les questions de l’exploitation, de la violence, des injustices et des jugements faits envers les femmes qui sont soulignés dans ce récit choral qui laisse autant de place à la légèreté qu’à la tragédie.
Même si l’histoire paraît parfois naïve, montre quelques invraisemblances avec des personnages parfois trop typés ou clichés, on s’attache rapidement aux protagonistes. Cet album nous plonge dans un microcosme qui évolue à travers les sombres années de l’occupation à l’aide de plusieurs bonnes idées narratives qui nous donnent envie de nous arrêter et d’observer cette petite communauté vivre et survivre au gré de l’entraide ou de la trahison. Le dessin de Maurel est teinté d’ocre et ses personnages aux yeux si expressifs sont lumineux. Le tout nous rappelle son précédent album L’apocalypse selon Magda (Delcourt/Mirage).
7/10
Collaboration horizontale
Auteurs : Navie (scénario) Carole Maurel (dessin)
Éditeur : Delcourt/Mirage (2017)
141 pages

1988, David Simon, le créateur de la célèbre série télévisée The Wire, est journaliste au Baltimore Sun et passe une année complète avec la brigade criminelle d’une des villes les plus violentes des États-Unis. Le récit de son expérience fut publié un peu plus tard sous la forme d’un bouquin intitulé Homicide, A year on the Killing Streets et est adapté depuis mai 2016 en bande dessinée par le bédéiste documentariste Philippe Squarzoni. Publié en plusieurs tomes par les éditions Delcourt, en janvier dernier sortait le deuxième opus de la série ; Homicide, Une année dans les rues de Baltimore (4 février-10 février 1988).
Les cœurs sensibles devront être prévenus, Squarzoni ouvre son livre d’une horrible façon avec un meurtre sordide qui sera décrit en détail et froidement pour les besoins de l’exercice. Tout commence dans l’arrière-cour d’un immeuble alors que l’on vient de découvrir le corps d’une enfant de 9-10 ans qui git par terre. Toute la section des homicides est sur le pied de guerre et le secteur est vite bouclé lorsque les inspecteurs Landsman, Pellegrini et Edgerton débarquent sur les lieux. Landsman étant le plus gradé, il prend possession de la scène et devient le seul maître à bord. La pression est grande et tous les détails sont vitaux. La mort atroce de la petite Latonya Wallace devient prioritaire et d’importantes ressources sont mises à contribution pour éclaircir ce crime crapuleux. Toutes les minutes comptent. Plus le temps file après un meurtre, plus l’assassin a le loisir de faire disparaître des indices et plus il peut échafauder des alibis crédibles.
Sans sombrer dans le cliché habituel de la série policière hollywoodienne, l’adaptation de Squarzoni est passionnante parce qu’elle est un témoignage de première main. Ce n’est pas du cinéma, c’est le quotidien d’un commissariat d’une ville violente américaine qui est dépeintes sans flafla ni artifice avec ses 240 meurtres par année. Les résolutions d’énigmes ne sont pas garanties à la fin de la route. L’impression d’immersion qui ressort de ce document est totale. S’éloignant souvent de l’enquête en cours, nous avons parfois le sentiment que les inspecteurs nous partagent directement leur façon de voir l’investigation, leurs méthodes de travail, leurs intuitions et leurs doutes. De longues digressions nous permettent aussi d’aborder des thèmes extrêmement pertinents comme entre autres l’histoire des tirs policiers dans le cadre de leur fonction. Nous y voyons toute l’évolution sociale des mentalités des gardiens de l’ordre face à la criminalité en milieu défavorisé et surtout envers le racisme. Le policier il y a cinquante ans pouvait abattre un suspect sans rendre de compte, mais aujourd’hui la situation est plus délicate. Avec David Simon nous ne sommes jamais loin de la criminologie et de la sociologie. Le dessin de Squarzoni est bichrome et sobre. Son réalisme quasi naturaliste convient parfaitement au format documentaire. Simple petit bémol, la série qui devait se limiter à quatre volets semble vouloir s’éterniser. Le tome deux ne concernant qu’une semaine de l’année, nous espérons que tout sera mené jusqu’au bout, car rien n’est aussi irritant qu’une série qui laisse ses admirateurs en plan.
8,5/10
Homicide, Une année dans les rues de Baltimore (4 février-10 février 1988)
Auteur : Philippe Squarzoni (dessins et scénario d’après de livre de David Simon)
Éditeur : Delcourt (2017)
134 pages