
Par Mathieu T
La lecture d’une aventure de Blake et Mortimer me mène toujours dans le même double cul-de-sac intellectuel. D’un côté, je me sens obligé de comparer la bédé avec la série originale d’Edgar Jacobs. C’est un réflexe normal provoqué par ces reprises de grands classiques (même combat pour Astérix). De l’autre, je suis tenté de replacer la bédé dans le contexte d’aujourd’hui et d’évaluer sa pertinence. Que vaut-elle par rapport à la production contemporaine ? La grande difficulté critique est que ces deux points de vue sont à la fois antinomiques, mais aussi complémentaires. On ne peut parler de l’un sans parler de l’autre. Je voudrais bien oublier le passé de la série mais en même temps, c’est sa pierre d’assise. Je vais donc tenter dans cette chronique de réconcilier le tout.
Le duo Sente et Juillard en sont à leur 6e Blake et Mortimer et de l’avis des experts, propose les albums les plus intéressants de la reprise. Voyons de quoi il en retourne. Une série de crimes commis par une bande de voyous nommée les « Teddys » met sur le pied de guerre le MI5 et Scotland Yard. Mortimer, de son côté, découvre une énigme encore plus opaque : l’existence d’une oeuvre inédite de Shakespeare qui répondrait à la question de la paternité de son travail. Mais le chemin qui mène au manuscrit du barde de Stratford est parsemé d’embûches.
Disons-le tout-de-suite, je me suis joyeusement emmerdé à la lecture de ce 24e album de la série. L’intrigue est niaise au possible et on en découvre les fils conducteurs très rapidement. À part quelques coups de poings bien placés, Blake fait de la figuration, Mortimer se fait trimballer de pages en pages par une jolie assistante (hé oui…) et le cher Olrik, trop absent, dirige ses sbires d’une prison. Les trois hommes subissent les événements au lieu de les créer et le lecteur se surprend à enfiler les cases sans vraiment les regarder. Où est la fougue de Blake ? Où est l’intelligence de Mortimer ? Où est le machiavélisme d’Olrik ? C’est plat, plat, plat.
Certes, le dessin de Juillard, pour qui aime la ligne claire dans sa plus intense pureté, est très beau et plusieurs scènes complexes sont fort réussies visuellement. Mais cette jolie enveloppe ne réussit pas à sauver les personnages du vide absolu dans lequel ils sont plongés. Ils ont l’air totalement perdu dans une pièce qui est tout simplement mauvaise.
J’aurais aimé vous proposer une analyse tout en finesse et en profondeur, un genre de mégacritique, mais à cause du produit, j’éviterai simplement les écueils dont je parlais plus haut en concluant que n’eut été du sceau de la franchise Blake et Mortimer, cet album au dessin précis et agréable mais au scénario faible au possible n’aurait jamais dû avoir vu le jour.
5/10
Le testament de William S.
Auteurs : Yves Sente (scénario) André Juillard (dessins)
Éditeur : Blake et Mortimer (2016)
64 pages