Par Dany Rousseau :

Lorsqu’est décédé Fidel Castro le 25 novembre 2016 à l’âge de 90 ans, le monde ne fut pas surpris. Malade, ayant laissé la destinée de Cuba aux mains de son frère Raul en 2008, on ne le voyait qu’occasionnellement se déplaçant péniblement avec son survêtement Adidas qui avait remplacé son éternel uniforme de guérillero. En disparaissant, ce géant du XXe siècle ramena LA grande question à son sujet : qui est Fidel Castro, un saint socialiste ou un démon bolchevique?
En terme plus subtil, c’est un peu l’interrogation que nous pose la bande dessinée biographique Castro (Casterman) du bédéiste allemand Reinhard Kleist. Inspiré par un voyage à Cuba et la lecture d’une biographie réalisée par son compatriote Volker Skierla, Kleist fait le choix narratif de nous offrir deux histoires. Dans la première, nous découvrons chronologiquement les faits d’armes les plus marquants du « Lider Maximo » dans la plus pure tradition de la biographie classique. En revanche, pour l’autre récit, Kleist crée Karl Maertens, un personnage fictif. Jeune photographe ouest-berlinois, Karl sera envoûté par le romantisme de la guérilla cubaine à la suite de la lecture d’une interview avec Castro réalisée par Erbert Matthews dans le New York Times. Sur un coup de tête, après avoir trouvé un magazine qui achètera ses photos et paiera son billet d’avion, Karl décide en 1958 de s’envoler pour Cuba et de retrouver les révolutionnaires dans la Sierra Maestra où ils se sont retranchés dans l’est de l’île. Débarqué à Santiago, Maertens rejoint les guérilleros sans grandes difficultés. Il sera accueilli à bras ouverts par Castro qui est tout à fait conscient de son pouvoir médiatique et qui soigne ses relations publiques. Karl tombera rapidement en amour avec Lara qui lui servira de guide dans le camp et se liera d’amitié avec Juan, un jeune intellectuel. Renonçant à la sacrosainte neutralité journalistique, Karl épouse la cause cubaine et suit la petite bande de révolutionnaires jusqu’à la prise de La Havane le 1er janvier 1959.
Une fois premier ministre, Castro forme un gouvernement unissant toutes les forces d’opposition à Batista qui, pour sa part, s’est enfuie le 31 décembre avec en poche 40 millions de dollars! Tout semble bien rouler au début pour ce régime de transition qui promet des réformes progressistes et des élections dans les 18 mois. Même si Cuba sous Batista était un vassal des États-Unis, Eisenhower reconnait la légitimité du nouveau gouvernement dès le 7 janvier et se dit prêt à travailler avec les nouveaux occupants du palais présidentiel. Cependant, les relations avec l’oncle Sam se désagrègeront rapidement. Si Castro lui-même n’est pas communiste au début de son règne, les différentes mesures réformistes qu’il met en place afin de briser le modèle d’exploitation américain deviendront rapidement un irritant. Les sanctions économiques, les attentats financés par la CIA et les 600 complots pour l’assassiner pousseront lentement mais sûrement Castro dans les bras de l’URSS. Résultat, les États-Unis hériteront d’un satellite de Moscou à quelques centaines de kilomètres de Miami.

L’arrivée au pouvoir de Castro à la tête de cette petite île des Caraïbes est capitale dans l’histoire du XXe siècle. Ces vaillants révolutionnaires qui ont jeté à la mer leur tyran et les Américains donnent une bouffée d’espoir à tous les peuples exploités de la planète. Cuba devient un modèle pour plusieurs pays d’Afrique et d’Asie qui sont en pleine période de décolonisation. Castro avec ses mesures progressives enchante aussi tous les intellectuels de gauche d’Europe et d’Amérique. Dans les universités d’occident, les airs christiques du camarade Che Guevara font rêver toute une jeunesse qui veut en finir avec les vieux modèles. Rapidement, les promesses de Castro se concrétisent. Il met fin à la discrimination raciale, il redistribue les terres, abolit les grandes propriétés, fait exploser les taux d’alphabétisations et met en place un système de santé accessible à tous.
Pour Karl Maertens, Cuba est le paradis. Vivant avec Lara, les deux militants restent des proches du régime. Maertens travaille toujours pour un périodique allemand, mais collabore dans un des trois journaux du pays qui est sous la direction de son ami Juan. Ensemble, ils partagent de longs palabres sur l’avenir des classes laborieuses lorsque toute l’Amérique latine suivra l’exemple de Cuba.
Toutefois plus le temps passe plus le pouvoir de Castro devient oppressant. À mesure que s’impose le rationnement, que les arrestations arbitraires touchent des anciens compagnons d’armes, que s’amenuise les libertés promises et que finalement l’on doive admettre qu’il n’y aura pas d’élections, certains croyant de la première heure déchantent et une question devient omni présente : Partir ou rester?

Le choix de raconter la vie d’un personnage historique travers les yeux d’un simple témoin est toujours excellent pour un récit biographique. Passer du macro au micro personnalise le sujet et rend la grande Histoire vivante à hauteur d’homme. Kleist, sans complaisance, même si on y décèle un parti pris positif, nous interroge sur ce que l’avenir retiendra de cet homme plus grand que nature. Dans cette biographie-fleuve de presque 300 pages, les lecteurs qui comme moi ont été à l’université, sont politisés, ont eu ou ont encore des sympathies de gauche passant de l’extrême au modéré et qui ont rêvé de Cuba, sont mis devant les contradictions d’un régime idéalisé. Ce qui, à mon avis, fait du Castro de Kleist une lecture captivante.
8/10
Castro
Auteurs : Reinhard Kleist
Éditeur : Casterman (2016)
282 pages