Je vous imagine, chers lecteurs, dans l’embrasure de la porte, prêts à partir pour les vacances avec vos gougounes dans les pieds, le panama sur la tête et les lunettes de soleil sur le nez, sur le point de fermer votre valise. Mais après y avoir déposé maillot, pull, chaussures de randonnées, vous vous dites : « Que vais-je pouvoir amener à lire au chalet ? Vite, je me précipite sur le site qui donne la vraie mesure de la bande dessinée ». Vous avez raison, lecteurs vacanciers, car nous avons concocté pour vous un petit nécessaire de voyage pour bédéphile en goguette et j’espère que vous ne serez pas déçu de ces humbles propositions.
Homicide t.1 et t. 2 (Delcourt) Philippe Squarzoni

Les amateurs de polar peuvent se précipiter sans crainte sur les deux premiers tomes de cette adaptation en bédé de Homicide, A year on the Killing Streets de David Simon, journaliste américain ayant vécu une année aux côtés des enquêteurs du département des homicides de la police de Baltimore en 1988, l’une des villes les plus violentes des États-Unis à l’époque. Le travail d’adaptation de Squarzoni est remarquable. Homicide est une immersion totale dans l’univers de ces policiers qui ne sont pas des personnages de série hollywoodienne, mais bien de véritables êtres humains qui enquêtent sur des cas bien réels en côtoyant l’horreur ordinaire au quotidien.
Pereira Prétend (Sarbacan) Pierre-Henry Gomont
Je l’affirme d’emblée ; Pereira Prétend du bédéiste Pierre Henry Gomont est une grande œuvre ! Pereira est un journaliste qui rédige seul les pages culturelles du Lisboa, un quotidien de la capitale. Veuf et solitaire, Pereira est apolitique et se tient en retrait de la société portugaise qui vit sous le joug du dictateur Salazar. Cependant, son existence tranquille sera bouleversée lorsqu’il rencontrera Montero Rossi, un jeune et fougueux opposant au régime. Malgré lui, Pereira sera extirpé de sa position confortable et devra prendre des risques politiques importants. Entre les pages lumineuses de cet album, on découvre le Portugal dans toute sa splendeur, ses odeurs, ses gens, ses rues magnifiques. Croyez-moi cher lecteur, voici pour vous un excellent investissement, car cette bédé donne le gout d’être relue dès qu’on la referme.
Les premiers aviateurs (Pow pow) Alexandre Fontaine-Rousseau et Francis Desharnais

Une lecture de plage parfaite pour ne pas se prendre la tête. Les Premiers aviateurs est une bédé sans prétention, drôle et intelligente. Avec un dessin organisé à l’intérieur de cases volontairement statiques, chacune des cinq histoires qui nous sont offertes raconte les tentatives souvent infructueuses des pionniers du ciel. Avec comme personnages Besnier, Sir Hiram Maxim ou les frères Wright, le duo d’auteur imagine un paquet de situations et de dialogues loufoques. Cependant, il ne faut pas être dupe, car derrière les récits déjantés et absurdes, ainsi qu’avec les dessins minimalistes de cette petite plaquette de 116 pages, on devine une réflexion brillante sur les motivations de l’Homme pour s’arracher au banal de son existence.
S’enfuir récit d’un otage (Dargaud) Guy Delisle
Vous pouvez partir en vacances en oubliant votre crème solaire ou vos chemises hawaiiennes préférées, mais vous ne pouvez partir sans amener ce qui selon nous est la meilleure bédé de 2016. S’enfuir est le récit-fleuve du coopérant français Christophe André qui fut enlevé en 1997 au Caucase et retenu en otage par des terroristes tchétchènes durant 111 jours. Guy Delisle nous raconte et illustre de façon magistrale ce long cauchemar d’un homme enchaîné à un calorifère, couché sur un matelas posé à même le sol, réduit à fixer du regard l’ampoule nue qui pend au-dessus de sa tête. La narration ramenée au « Je » permet d’entrer en osmose avec André et de vivre avec lui ses angoisses, ses inquiétudes, ses espoirs et sa longue attente d’une libération qui tarde à survenir. Les 400 pages de ce pavé constituent un véritable petit bijou. Ce livre est une pièce d’orfèvrerie polie pendant 15 ans par un Guy Delisle au sommet de son art.
La femme aux cartes postales (La Pastèque) Claude Paiement et Jean-Paul Eid

Une nuit de 1957, Rose quitte en douce sa campagne gaspésienne pour aller vivre son rêve à Montréal. En découvrant le tourbillon de la métropole qui l’emporte, la jeune fille décharge les trop-pleins d’émotion qu’amène sa nouvelle vie en consignant soigneusement ses états d’âme sur des cartes postales comme on le ferait dans un journal intime. C’est par ce véhicule original que nous suivons les péripéties de Rose dans le « Red light » montréalais de la fin des années 50 alors que la métropole est reconnue partout en Amérique du Nord pour ses plaisirs nocturnes. Dans ce contexte historique particulier, Rose deviendra une vedette jazz locale et verra sa brillante carrière la mener de la « Main » jusque dans La Havane de Batista à la veille de l’entrée de Castro dans la capitale. L’excellent scénario de Paiement et les riches illustrations de Eid font de La femme aux cartes postales un futur classique de la bande dessinée québécoise.

Pour bronzer moins con cet été, pourquoi ne pas lire entre deux baignades cette fantastique trilogie (maintenant offerte en intégrale) de l’éclairant Jean-Pierre Filiu historien spécialiste de la région et du génial bédéiste David B. D’une façon fluide, le professeur nous présente simplement toutes les pièces du puzzle moyen oriental et les emboîte comme si de rien n’était devant nos yeux ébahis. À la fin de l’exercice, il nous offre une vision d’ensemble limpide de la géopolitique actuelle de la région. Des premiers échanges de l’Empire ottoman avec la jeune République américaine, aux printemps arabes David B nous offre de magnifiques illustrations jouant avec des métaphores graphiques qui laissent admiratives. On reconnait tout le mérite de cette bédé lorsqu’en la refermant vous aurez l’impression d’être devenu un spécialiste de la question, prêt à remplacer Sami Aoun sur les ondes de RDI.