
par Mathieu T
La grande force de la fiction est de pouvoir créer un angle totalement inédit sur des événements historiques moults fois analysés. Davantage, un auteur peut se permettre de glisser sur les faits historiques pour s’attarder sur l’avant ou l’après et y construire sa propre lecture du monde. On pense par exemple au film No de Pablo Larain (2012) sur les dernières années du régime Pinochet ou le roman La grimace d’Heinrich Böll (1963) sur la période d’après-guerre en Allemagne.
Salud ! se déroule justement sous le régime du général Franco en Espagne quelques années avant sa mort en 1975. Antoine est beau garçon, intelligent et fils de bonne famille. C’est aussi une tête brulée qui a coupé tous les ponts avec celle-ci sauf son frère Vincent. Il vient de se marier avec Iria, une Espagnole qu’il ne connaissait pas un mois auparavant. Ils partent subitement s’installer en Corogne, patrie de la douce ibère. N’ayant peur de rien, le couple ouvre un restaurant. Après un lent début, c’est la manne : succès critique, restaurant bondé, argent et surtout alcool à profusion. Au sommet de sa gloire, le bellissime Antoine s’engage sur une pente infernale et rien n’arrêtera sa chute. Les lendemains auront un goût de vomi.
Commençons par le visuel. Nadar, l’homme derrière le chouette Papier froissé, vient encore une fois nous surprendre avec un autre très bel album. Son oscillation entre le trait et la couleur (ici bleu, rose et beige) est formidable. Le lecteur a l’impression que chaque case est une peinture où l’artiste a ajouté ici et là un détail en bleu foncé pour appuyer certains éléments. Le résultat est une imagerie à la fois très précise et très floue qui accentue la sensation de lire une histoire au passé. Superbe.
Le récit raconte la classique chute d’un héros. Antoine est d’ailleurs très juste en homme incapable de contrôler ses envies et ses pulsions. L’arrière-plan du régime de Franco est bien rendu et joue un rôle effacé mais important dans le déroulement des événements. Même si le personnage principal est souvent odieux, le lecteur se prend au plaisir de vouloir sa rédemption, signe que l’auteur a gagné son pari.
8/10
Salud !
Auteurs : Philippe Thirault (scénario) Nadar (dessins)
Éditeur : Futuropolis (2017)
112 pages

Débutons tout d’abord par parler du projet. Le Château des étoiles est une création d’Alex Alice, l’homme derrière les dessins du fameux Troisième testament. La série, débutée en 2014, a d’abord été publiée sous la forme de journal regroupant planches et faux articles d’actualité. Par la suite, l’éditeur Rue de Sèvres a regroupé les parutions par trois et les a publiées sous forme d’intégrale dont voici le tome 3 (incluant L’île des spectres volants, Mars prussien et Le fantôme de l’Ether). Je ne m’attarderai pas à cet album précis qui est, au fond, la suite des aventures de nos gentils héros, prenant pour acquis que le lecteur que vous êtes ne connaît pas du tout la série.
Fin XIXe siècle. Les grands empires européens, fatigués de tant d’années de guerre, commencent à tourner leurs regards vers le ciel afin d’y trouver de nouveaux espaces à conquérir. Les explorateurs et inventeurs de toutes sortes se lancent dans la fabrication d’objets volants et repoussent de plus en plus les limites du possible. C’est la conquête de l’espace 150 ans avant l’Histoire officielle. Claire Dulac, l’une de ces pionnières du ciel, disparaît en tentant d’atteindre l’éther, ce mystérieux au-delà. Un an plus tard, son mari et son fils se lancent à sa recherche. C’est le début d’une aventure fabuleuse.
Projet d’une vie, Alice nous propose une formidable lecture extrêmement bien équilibrée. D’abord des personnages drôles, tragiques, farfelus, troubles comme le professeur Dulac, son fils Séraphin ou son copain inventeur débile Hans. Des personnages historiques comme Otto von Bismarck ou Louis II de Bavière. Des femmes fortes comme l’impératrice d’Autriche ou la pétillante Sophie. Ensuite, un récit captivant, alternant les scènes d’action, de tendresse, d’espionnage ou de pure aventure dans un joyeux et savant mélange. Finalement, le tout est enrobé d’une touche steam-punk (voir Steamboy de Katsuhiro Otomo), d’un soupçon de Jules Vernes (relire De la terre à la lune) et d’un grain de Miyazaki (regarder Porco Rosso). D’ailleurs, c’est au grand maître japonais à qui j’ai pensé en premier en voyant ces dessins lumineux, moitié manga, moitié dessin animé du samedi matin. Alice s’est bien détaché du style sombre du Troisième testament et de Siegfried pour s’offrir des cases allégées, quasiment aériennes, malgré qu’elles soient bien remplies de pétarades et de poursuites.
Une série à lire et à suivre.
9/10
Le château des étoiles tome 3 Les chevaliers de Mars
Auteur : Alex Alice
Éditeur : Rue de Sèvres (2017)
64 pages