
par Mathieu T
J’ai croisé par hasard l’auteur de ma première chronique, François Vigneault, au Festival de la bédé de Montréal à la table de Pow pow. Sans savoir que j’étais un critique acerbe aux dents bien affutées (j’en mets un peu), Vigneault m’a gentiment résumé le nœud de son récit et m’a effectué une très belle dédicace devant les yeux absolument pas ébahis de mes deux garçons (ah, les jeunes aujourd’hui). Est-ce que cette expérience agréable a teinté ma chronique ? Absolument.
Nous sommes dans un lointain futur. Comme prévu, l’être humain a salopé la Terre et a maintenant colonisé le reste du système solaire pour survivre. Ses ressources proviennent d’un peu partout dont Titan, le plus grand satellite de Saturne. Pour travailler dans cet environnement dangereux, des géants ont été créés par modifications génétiques. L’ADMN Da Silva a été mandaté pour visiter les usines de Titan, désuètes et peu productives. Il ne se doute pas qu’il mettra les pieds dans un véritable panier de crabes.
Peut-être est-ce une tendance, mais nous avons entre les mains une autre bédé aux couleurs minimalistes absolument réussie (ici le mauve accompagne le noir et le blanc). Le style simple et légèrement cartoonesque de Vigneault sied curieusement très bien à un scénario davantage sérieux justement grâce à ce judicieux jeu d’ombres violacées. L’album foisonne de savoureux détails et de scènes très fortes.
Comme toujours, la beauté d’un récit repose souvent sur l’équilibre parfait des éléments de l’histoire. Sous fond de science-fiction, François Vigneault offre au lecteur une fascinante romance politique parsemée de personnages complexes. Amour et syndicalisme au menu. Il met aussi en place un monde crédible aux charges socio-économiques typiques des grands romans d’anticipation des années 70. Construit autour de dialogues bien affûtés, le bouquin se dévore.
Seul petit bémol, l’aventure se termine sur une conclusion en accéléré qui aurait mérité à elle seule un autre volume. Dommage.
9/10
Titan
Auteur : François Vigneault
Éditeur : Pow pow (2017)
204 pages

Mon collège Dany vous le confirmera, l’une des joies d’être critique est d’être totalement surpris en lisant un album. Parfois, c’est un titre encensé qui est meilleur que prévu ; parfois c’est une œuvre dont certains détails dénotent qu’elle sera à notre goût (un auteur qu’on aime bien ou un éditeur solide) ; parfois, et celui-là sont les plus jouissifs, un album écrase nos a priori négatifs pour nous plaire. Comme il doit ramer un peu plus que les autres, le plaisir n’en est que plus intense. C’est le cas pour le premier tome de Rose.
Rose est une jeune femme simple et réservée qui possède un curieux don. Elle peut se dédoubler, c’est-à-dire qu’elle peut quitter son corps, momentanément léthargique, pour aller se promener ailleurs dans la réalité sans que les autres ne la remarque. Tel un fantôme temporaire, elle ère entre l’ailleurs et elle-même sans conséquence. Un jour, son père, détective privé, meurt dans des conditions nébuleuses. Rose décide de creuser davantage pour découvrir la vérité et elle ouvrira la porte sur un terrifiant monde peuplés de secrets.
Page couverture pas très attrayante, titre un peu plat, énième histoire paranormale, dessin faussement Dupuy Berberian, je me suis installé à mon fauteuil en me disant que j’accorderais au livre 20 minutes. Quelles 20 minutes bien investies ! Dès les premières pages, le lecteur prend connaissance du pouvoir de Rose. Pas de chichi, pas de détour, il est là, elle en est consciente et ça fait parti de l’histoire. J’ai adoré cette approche réaliste évitant de tourner autour du pot pendant des lunes. Le récit général est très malin et fonctionne comme une vaste fresque dont les détails se révèlent tranquillement au fil des pages. À mesure que Rose enquête, le mystère s’épaissit et le tableau se complexifie sans devenir illisible. De la fantaisie de salon, on passe au meilleur thriller avec une petite dose de X-Files. Du bonbon.
Le dessin lui aussi mérite de s’y attarder. Un habile jeu de couleurs permet au lecteur de vite comprendre les moments où Rose sort d’elle-même. Certains éléments du passé sont racontés dans un style très marquant. Vrai que le dessin tire vers Monsieur Jean, mais avec une touche triste et sombre, comme si les personnages nageaient dans la vie avec un poids sur les épaules. Tout est étiré et long comme un jour sans pain et Rose, au centre de cette noirceur, est parfaite en blondinette naïve et fonceuse à la fois.
Cette subtile série se terminera en trois tomes.
8,5/10
Rose tome 1
Auteurs : Émilie Albert et Denis Lapierre (scénario) Valérie Lemay (dessins)
Éditeur : Dupuis (2017)
48 pages