Giant; t. 1

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Par Dany Rousseau :

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Dargaud (2017) Mikaël

Je dois confesser que je n’étais pas emballé par la perspective de lire Giant (Dargaud) du bédéiste franco-canadien Mikaël. Je savais que ce premier de deux volumes était un titre phare de la rentrée chez Dargaud, mais sans véritables bonnes raisons, cette bédé ne me disait rien. C’est bête, mais parfois c’est ainsi que le critique se sent. J’ai dû mettre ma mauvaise foi « dans ma petite poche de coat » et plonger dans le New York des années 30, en pleine crise économique, sans grand enthousiasme. Cependant, après quatre ou cinq pages, la magie opéra et mes réticences se sont évaporées.

Giant est le surnom que l’on donne à l’un de ces ouvriers riveteurs qui œuvrent en équilibre sur les poutres d’acier du chantier du Rockefeller center. Suspendu à plusieurs dizaines de mètres au-dessus du sol, le géant tient à bout de bras son marteau pneumatique et fixe ses 400 rivets quotidiens ! Immigrant irlandais, Giant parle peu et reste une énigme pour ses trois autres compatriotes qui font partie de son équipe : Murphy, Barclay et Ed. Nous n’aurons toutefois pas l’occasion de nous attacher à Murphy, car dès le début de l’album, celui-ci fait une chute mortelle du haut des échafaudages. Le jour même, Dan, un autre Irlandais, sera embauché immédiatement pour remplacer l’infortuné. Quelques jours plus tard, Barclay et Ed s’étant occupés des funérailles de leur collègue, ils chargent Giant d’annoncer le décès de Murphy à son épouse demeurée en Irlande et de lui faire parvenir la prime de 50 $ offerte par l’Union des travailleurs du métal. Après avoir fouillé dans la boîte contenant les pauvres possessions de son compatriote, Giant découvre la relation épistolaire qu’il entretenait avec sa femme Mary-Ann. Sur un coup de tête, Giant le taiseux, empruntera la dactylo d’un voisin, journaliste alcoolique, et écrira à l’épouse en usurpant l’identité de Murphy. Lui envoyant de l’argent prélevé sur ses propres économies et lui racontant sa vie quotidienne aux États-Unis, l’homme de peu de mots s’épanouira dans cette correspondance trouble.

De deux choses l’une : comme le mentionne le bédéiste Jean-Louis Trip, un ami de l’auteur, dans sa préface, Giant est une bonne histoire et Mikaël la raconte bien. L’intrigue, les personnages, les dialogues, les rebondissements, tout est bien équilibré et roule comme une mécanique bien huilée. Deuxièmes choses, Giant est une leçon d’Histoire avec un grand « H » tellement bien intégrée au récit, que les informations, disséminées habilement ici et là, ne donnent jamais l’impression d’être surlignées de façon trop évidente. On sent tout le sérieux documentaire de l’auteur alors qu’il nous fournit de nombreux détails historiques sur New York par le biais de ses personnages secondaires qui vivent au quotidien dans cette ville, devenue métropole internationale depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Mikaël nous fait découvrir le quartier populaire du Lower East Side miné par la crise où grouille une importante communauté d’immigrants juifs, italiens et irlandais venus vivre le rêve américain dans une cité où les gratte-ciels sortent littéralement de terre et où tout semble possible. De plus, j’ai aussi grandement apprécié la ruse narrative de l’auteur qui utilise l’émission de radio de Walter Winchell (1897-1972). L’animateur vedette qui a déjà existé intervient à plusieurs reprises en bruit de fond pour illustrer efficacement le contexte socio-économique de la période.

J’aurais cependant une petite réserve à propos des dialogues. Parfois, pour faire plus authentique, l’auteur met dans la bouche de ses personnages des métaphores qui me paraissent un peu forcées comme dans cet exemple:  « Un type capable d’assembler deux poutres d’acier au marteau pneumatique en moins de temps qu’il faut à un vaurien du Bronx pour te faire les poches… » (p.10) Nous avons l’impression dans cet extrait qu’un Newyorkais doit absolument choisir une image langagière en lien avec un quartier de la ville. J’ai été un peu agacé par ces quelques répliques de dialogues et ces figures de style moins habiles. Cependant, je ne boude pas le plaisir sincère que j’ai eu à lire l’album de Mikaël.

La conclusion de Giant est brillamment menée. Mikaël trouve le moyen de renouveler son intrigue dans les dernières pages et met la table pour le deuxième volet du diptyque qui doit paraître en janvier 2018. Les teintes sépia du dessin nous permettent encore davantage d’entrées dans ce récit immersif emballant qui nous happe littéralement.

8.5/10

Giant t.1

Auteur : Mikaël

Éditeur : Dargaud (2017)

58 pages

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