Par Dany Rousseau :

Julie Delporte est une créatrice à part dans le monde de la bédé québécoise. Avec des récits très intimistes, rédigés avec une typographie faussement manuscrite, accompagnés d’illustrations réalisées aux crayons de couleur se donnant l’air d’avoir été griffonnés en vitesse, l’auteure française, Montréalaise d’adoption, fait toujours des sorties remarquées. Après Journal (L’Agrume) en 2014 et Je vois des antennes partout (Pow Pow) en 2015, Julie Delporte nous offre Moi aussi je voulais l’emporter toujours chez Pow Pow. Cet ouvrage, qui devait être au départ le complément papier d’un documentaire portant sur la peintre et bédéiste finlandaise Tove Jansson (1914-2001), auteure des Moomins, c’est vite transformé, après une suite d’événements incontrôlables, en simple bédé. Cependant, le livre que nous offre aujourd’hui Delporte, sans être exclusivement dédiée à Jansson, en est toutefois grandement habité. Par ses choix résolument avant-gardistes pour son époque (la créatrice scandinave refusera de se marier et d’avoir des enfants pour se consacrer entièrement à l’art), Jansson devient un modèle féministe important. Influencée, Delporte entreprend un questionnement profond sur sa condition de femme et d’artiste. Elle se demande dès le début du livre : « À quel âge ai-je commencé à me sentir flouée d’être une fille ? » Dès lors, c’est autour de cette interrogation coup de poing que s’articulera toute la suite du bouquin.
Il est intéressant de noter que le titre qui fait référence au fait qu’en grammaire le masculin l’emporte toujours sur le féminin colle l’ouvrage à l’actualité et au débat de l’écriture inclusive qui fait hurler l’Académie française. Chez Delporte l’intime rejoint rapidement le social. Ses réflexions sur la maternité, le célibat, les petites violences quotidiennes envers les femmes, les dictats de l’apparence physique sont tous des thèmes qui sont abordés et qui approfondissent ce récit d’apprentissage féministe. Cette profession de foi, même si elle est libératrice pour l’auteure, amène son lot de doutes et de craintes face aux possibles conséquences négatives. Elle ira même à se demander si elle retrouvera un amoureux qui voudra partager sa vie avec une féministe. Même si cet ouvrage prend la forme d’un carnet personnel écrit avec une certaine désinvolture, il ne faut pas se leurrer, sa charge émotive et sociale est lourde. Moi aussi je voulais l’emporter avec ses propos politiques et poétique est un livre hautement pertinent dans le paysage actuel.
8/10
Moi aussi je voulais l’emporter
Auteur : Julie Delporte (dessins et scénario)
Éditeur : Pow Pow (2017)
252 pages

Auteure de Les trois carrés de chocolat (Mécanique générale) où elle nous confiait sans détour son viol, Mélodie Vachon-Boucher nous revient cet automne avec Le Meilleur a été découvert loin d’ici toujours chez Mécanique générale. Se spécialisant dans le récit autobiographique, la bédéiste nous raconte sa retraite dans une abbaye de sœurs bénédictines cloitrées. Au cœur de cette oasis hors du temps, dans le silence où la solitude tient lieu de compagne, Vachon-Boucher s’installe dans une petite chambre, située sous les combles, préparée par la sœur hôtelière Rose-Marie, la seule avec qui elle aura un contact humain. Prenant ses repas en solitaire et en se rendant écouter les chants des religieuses du haut du jubé dans la chapelle, la jeune femme s’est retirée dans cet endroit quelques jours pour réfléchir et finaliser son livre.
Devant sa petite table de travail austère, soumise volontairement à l’horaire réglé au quart de tour du couvent, elle revient sur ses souvenirs, ses blessures et ses deuils. Elle nous parle sans tabou de la dépression dont elle souffrit à l’aube de ses 30 ans. D’un voyage à Berlin qu’elle fait pour tenter de se fuir. Et finalement de son enfance vécue en partie dans une famille d’entrepreneurs de pompes funèbres et qui lui donne une relation particulière avec la mort. Illustrées de façon toute personnelle à la mine, ces tranches de vie et ses parts d’âme offertes au lecteur avec sensibilité et finesse font de cet ouvrage une belle découverte pour les amateurs de récits intimistes.
7,5/10
Le meilleur a été découvert loin d’ici
Auteur : Mélodie Vachon-Boucher
Éditeur : Mécanique générale (2017)
172 pages